Déjà reportée d’un an en décembre dernier, le règlement européen contre la déforestation (RDUE) vient de subir de nouvelles attaques. Mercredi 9 juillet, les eurodéputés ont adopté une motion, déposée par le PPE (Parti populaire européen, droite), qui appelle à la création d’une nouvelle catégorie de pays “sans risque”. En mai dernier, la Commission européenne avait publié une liste des pays à risque selon deux niveaux : faible ou élevé, avec des obligations plus ou moins importantes de traçabilité via des données de géolocalisation fournies par les agriculteurs, associées à des photos satellitaires.
Avec cette nouvelle catégorie “sans risque”, les pays seraient exemptés de l’obligation de fournir des données de géolocalisation permettant de connaître l’origine des produits. Les autorités ne seraient pas non plus tenues d’effectuer un nombre minimal de contrôles pour détecter les marchandises illégales ou entachées de déforestation. Les partisans du texte veulent ainsi sortir les pays de l’Union européenne car ils considèrent qu’ils ne présentent pas de risque. La loi anti-déforestation doit s’appliquer à partir de décembre à des produits tels que le cacao, le café, le soja, l’huile de palme, le bois ou encore le caoutchouc.
“Rouvrir la boîte de Pandore”
“L’adoption de cette motion n’entraîne pas d’obligation, il n’y a pas de base juridique pour rouvrir le texte. C’est un message envoyé du Parlement à la Commission, mais un message fort”, explique à Novethic Klervi Le Guenic, senior campaigner chez Canopée et représentante d’Earthsight en France. “On espère que la Commission ne se saisira pas de cette motion, pour l’instant c’est l’incertitude. Elle pourrait par exemple être tentée d’inclure la loi dans un paquet omnibus pour la simplifier et là, le risque, c’est de rouvrir la boîte de Pandore”, ajoute-t-elle.
La Commission, qui a utilisé ce dispositif pour simplifier des textes visant la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (directive sur le reporting de durabilité des entreprises, devoir de vigilance, taxonomie…) est mise sous pression. Quelques jours avant le vote de cette motion, 18 pays de l’Union européenne (sans la France, l’Allemagne et l’Espagne) lui ont adressé un courrier pour demander eux aussi des modifications à la loi anti-déforestation, arguant que certains de leurs producteurs ne peuvent pas être tenus de respecter ses conditions et sont confrontés à un désavantage concurrentiel.
Le géant agroalimentaire Mondelez a lui aussi demandé un report de la loi avertissant que l’industrie du chocolat est déjà aux prises avec des prix du cacao record et des chocs d’approvisionnement. Une posture qui contraste avec les autres acteurs du secteur, à l’instar de Danone, Nestlé et Ferrero, qui appellent les instances européennes à garder le cap sur le règlement et maintenir son calendrier d’application.
Bois illégal de Russie
C’est aussi le cas de la filière bois à travers notamment l’Association technique internationale des bois tropicaux. ʺNous nous opposons fermement à toute proposition de modification du RDUE qui rouvrirait le processus législatif. Cela entraînerait de nouveaux retards, accentuerait l’instabilité réglementaire et compromettrait les investissements importants déjà réalisés par les entreprises pour se conformer au règlementʺ, argumente-t-elle.
Avec cette nouvelle catégorie “sans risque” revient la crainte du blanchiment de produits, qui pourraient transiter par ces pays et ainsi contourner aisément la loi. Selon des données révélées par Earthsight ce 15 juillet, l’UE importe depuis 2022 plus de 1,7 milliard d’euros de contreplaqué de bouleau illégal en provenance de Russie et de Biélorussie, deux pays classés à haut risque. Ce contreplaqué est blanchi en passant par la Chine, le Kazakhstan, la Turquie et la Géorgie, pays classés à faible risque.
“Avec le règlement déforestation, cela ne sera plus possible car même les pays à faible risque seront obligés de vérifier l’origine des produits, précise Klervi Le Guenic. Avec la catégorie “sans risque”, en revanche il n’y aura plus d’obligation”. Huit des dix plus grands importateurs de ce contreplaqué illégal soutiennent la nouvelle catégorie “sans risque”.