Publié le 30 juin 2025

Depuis maintenant plusieurs mois, quatorze psychotropes rencontrent des tensions d’approvisionnement. Une situation anxiogène, voire dangereuse, pour les patients et un véritable casse-tête pour les professionnels de santé qui demandent des mesures fortes face à des pénuries de génériques qui se multiplient.

Elle a été désignée grande cause nationale de l’année 2025. Et pourtant, la santé mentale fait face, en France, à de nombreux défis, à commencer par une pénurie massive de psychotropes. “Depuis plusieurs mois, la psychiatrie se trouve particulièrement en difficulté avec des tensions d’approvisionnement récurrentes allant jusqu’aux ruptures, et ce pour des molécules de plus en plus nombreuses”, alertait le 25 avril dernier l’Union des Syndicats de Pharmaciens d’Officine (USPO) dans un communiqué. Quétiapine, sertraline, venlafaxine, sel de lithium… Au total, quatorze médicaments, soulageant les patients atteints de bipolarité, de dépression ou de schizophrénie, sont concernés.

“J’ai reçu beaucoup de mails de patients en difficulté, qui ont par exemple dû faire six pharmacies pour trouver leur traitement”, témoigne à Novethic Alexis Bourla, psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine de Paris. Une situation qui n’a rien de nouveau. A l’automne 2024, déjà, les traitements à base de quétiapine, un antipsychotique prescrit pour soigner la schizophrénie et les troubles bipolaires, et de venlafaxine, un antidépresseur, commençaient à se faire rare. En cause : un défaut de qualité ayant entraîné une interruption de la production. C’est en effet un sous-traitant grec, Pharmathen, qui fabrique ces deux molécules pour plusieurs laboratoires en charge de la distribution de ces médicaments dans l’Hexagone.

Problème récurrent des génériques

L’usine grecque fournit ainsi 60% du marché français pour la quétiapine et 20% pour la venlafaxine. En l’absence de ces traitements, les praticiens ont été contraints de se tourner vers d’autres psychotropes, qui se sont eux-mêmes retrouvés en tension comme le Teralithe, un sel de lithium prescrit en lieu et place de la quétiapine. “Beaucoup de psychotropes sont des génériques et la situation en Grèce illustre le problème récurrent de ces médicaments, observe Nathalie Coutinet, économiste de la santé interrogée par Novethic. Il y a peu de producteurs : à chaque fois que l’un d’eux rencontre un problème, cela se répercute sur l’approvisionnement de l’ensemble des pays qui s’y fournissent”.

Parmi les facteurs expliquant ces ruptures, la dépendance aux lignes de production étrangères est en effet régulièrement pointée du doigt. Mais ce n’est pas le seul. “Cette situation renvoie également au désengagement des grands laboratoires sur ces molécules anciennes. Ils considèrent qu’elles ne leur rapportent plus assez et préfèrent se tourner vers des médicaments innovants, plus couteux et rémunérateurs”, ajoute Nathalie Coutinet. A cela s’ajoutent des tensions entre l’offre et la demande, en forte croissance, amplifiées par une sous-valorisation du prix des médicaments. “Le prix auquel la France négocie les médicaments est largement en dessous de ce que les autres pays négocient”, explique Alexis Bourla. Par conséquent, l’Hexagone n’est pas prioritaire en cas de problème d’approvisionnement.

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Etat des approvisionnements fragile

Résultat, entre l’indisponibilité des médicaments et l’adaptation aux molécules alternatives, assurer la continuité des traitements des patients relève parfois du parcours du combattant. Avec dans certains cas de graves conséquences. “Chaque rupture de traitement est susceptible de provoquer des décompensations aiguës, des souffrances psychiques insupportables et surcharge davantage des services psychiatriques déjà saturés”, relate un collectif de psychiatres dans une tribune publiée mi-avril dans Le Monde.

Pour faire face à ces difficultés, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a annoncé le déploiement de plusieurs mesures, comme la restriction des prescriptions, l’arrêt des exportations de médicaments en tension ou encore la possibilité pour les officines de délivrer des préparations magistrales, venant combler le manque d’une molécule. Dans un bilan publié début juin, l’ANSM reconnait que “l’état des approvisionnements en psychotropes reste fragile sur le terrain malgré certaines améliorations”, notamment concernant la sertraline et le lithium. Au 23 juin, sept références étaient encore en tension.

“Il est temps de passer à l’étape supérieure”

Le gouvernement a en parallèle présenté le 12 juin dernier “26 mesures pour refonder la psychiatrie”, parmi lesquelles la création d’une task-force dédiée, la mise en place d’une stratégie de diversification des fournisseurs et la publication régulière de l’état des stocks. Un plan d’action qui ne convainc pas les professionnels de santé. “Ce sont des palliatifs à un problème qui est plus profond, regrette Alexis Bourla. On voudrait une refonte complète de la politique française concernant les médicaments, avec de nouveau une souveraineté sur la production”.

La relocalisation des médicaments dits “essentiels” est l’une des mesures clé demandée par l’ensemble du secteur, tout comme leur revalorisation économique. “Depuis plusieurs années, le gouvernement gère les pénuries pour économiser et répartir les molécules. Mais il est temps de passer à l’étape supérieure, presse Nathalie Coutinet. C’est absurde, l’Europe souffre de pénuries alors qu’elle a les compétences et les fabricants. Il faudrait augmenter leur taille et leur nombre, mais cela nécessite un vrai soutien politique”.

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