“La mode est un droit, pas un privilège”. Voilà le nouveau slogan du géant de l’ultra fast-fashion Shein. Après avoir multiplié les prises de parole dans les médias nationaux et recruté l’ancien ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, au sein de son comité RSE, la société chinoise passe à la vitesse supérieure pour redorer son blason. Cette fois-ci, elle s’adresse aux Français au travers d’une campagne de publicité au ton militant, affirmant son engagement à “rendre la mode accessible à toutes et tous”.
Son objectif est on ne peut plus clair : influencer l’opinion publique à quelques semaines de l’examen de la proposition de loi anti fast-fashion au Sénat. Le 10 juin prochain, les sénateurs devraient en effet se rassembler pour voter ce texte, qui vise à réguler les pratiques néfastes pour l’environnement des plateformes de mode rapide, telles que Shein et son concurrent direct Temu. S’il est adopté, le texte pourrait imposer aux entreprises des pénalités, entraînant une hausse des prix de leurs produits.
“Coup de poignard dans le dos” de la filière française
“Une taxe qui ne rendra pas la mode plus responsable. Mais simplement moins accessible”, estime Shein. Au travers d’un site internet lancé en parallèle de sa campagne de communication, la plateforme de commerce en ligne cible directement le projet de loi français, y opposant un engagement social. L’entreprise appelle ainsi à “une réorientation des dispositions de la proposition de loi”, ce cadre législatif risquant de “creuser les inégalités”. L’opération n’est pas anodine : selon le média Stratégies, il s’agirait même d’un “tournant stratégique pour la marque textile qui adopte pour la première fois une posture institutionnelle, défensive, soutenue en relations presse”.
Du côté des défenseurs d’une filière mode plus durable, c’est un coup dur. “Quelques millions d’euros pour l’agence de communication française Havas Paris… Voilà ce que rapporte de poignarder dans le dos (…) l’industrie textile française”, s’insurge dans un communiqué Thomas Huriez, président de la marque textile responsable 1083. Pour monter cette opération, Shein a en effet fait appel à Havas Paris, un mastodonte de la communication. La collaboration entre la plateforme chinoise et l’agence publicitaire, qui appartient à la galaxie Vivendi, propriété de la famille Bolloré, ne date d’ailleurs pas d’hier.
En mars 2024, Shein avait déjà confié à une filiale d’Havas Group la tâche de rédiger une communication à destination de plusieurs députés français, “en vue des débats à venir au Sénat” sur la loi anti fast-fashion, comme le révèle le média spécialisé CM-CM. Un choix qui pose question. Et ce n’est pas la première fois qu’Havas, qui affirme avoir l’ambition “d’être au service de l’intérêt public” et de “promouvoir de nouveaux récits sur la consommation responsable”, est pointé du doigt pour ses contrats avec des entreprises aux activités climaticides. En juillet 2024, quatre de ses filiales avaient ainsi perdu leur certification B-Corp à la suite d’une collaboration avec le pétrolier Shell.
“Forte action du lobby de la publicité”
Il faut dire que Havas pourrait lui aussi voir d’un mauvais œil la promulgation de la loi anti fast-fashion en France. Parmi les dispositions phares du texte, adopté par les députés en mars 2024, se trouve en effet l’interdiction de la publicité par les entreprises de mode rapide. Une mesure qui a vu sa portée réduite en Commission développement durable au Sénat le 17 mars dernier, grâce à un lobbying intensif mené par l’industrie textile, soutenue par le secteur de la publicité. “Il y a semble-t-il une action forte du lobby de la publicité qui refuse que l’on commence à interdire les publicités, par peur de perdre du chiffre d’affaires”, souligne auprès de Novethic Julia Faure, co-présidente de l’organisation patronale du Mouvement Impact France.
En 2020, Havas était déjà monté au créneau contre la régulation de la publicité. Le groupe avait réuni entreprises et décideurs politiques à l’occasion des “états généraux de la communication”, rappelle Street Press. Le but : retirer du projet de loi issu de la Convention citoyenne pour le climat toutes les mesures liées à la publicité, dont celle visant à interdire les annonces promouvant les produits polluants. Dans une tribune publiée la même année, le secteur appelait en lieu et place à “faire de la publicité un accélérateur de la transition”. De bonnes intentions qui semblent encore loin de portée. Selon un récent rapport, le greenwashing serait toujours omniprésent dans les publicités à visée environnementale en France.
Contactés par Novethic, Havas Group et Havas Paris n’ont à ce jour pas répondu à nos sollicitations.