On en mange près de cinq kilos par an et par habitant. Mais derrière les conserves de thon que nous avons toutes et tous dans nos placards se cachent des pratiques “inacceptables”. Risque sanitaire, violations des droits humains, dégradation des écosystèmes marins… Pour contraindre le secteur à se transformer, les ONG Bloom et Foodwatch ont assigné en justice le géant Carrefour devant le tribunal de Paris “pour manquement à son devoir de vigilance” au sein de sa filière thonière afin de faire évoluer sa politiques d’approvisionnement.
Cette action en justice fait suite à deux mises en demeure adressées à la multinationale en 2023, puis en 2024. Lors du processus de dialogue qui a suivi, l’enseigne s’est engagée à mettre en place une série de cinq mesures. Une réponse jugée “insuffisante” par les associations. “Carrefour se présente comme un leader de la transition alimentaire. Son immobilisme face à l’ensemble des alertes que nous lui avons soumises est en totale contradiction avec la manière dont il se positionne sur le marché”, affirme auprès de Novethic Pauline Bricault, responsable de campagne au sein de Bloom.
Des risques multiples
Depuis novembre 2024, l’ONG alerte en effet sur la contamination au mercure des conserves de thon, vendues à 97% dans les rayons des supermarchés français. Bien qu’il s’agisse d’une substance neurotoxique, parmi les plus “préoccupantes pour la santé publique” selon l’OMS, le mercure bénéficie en Europe d’une limite maximale plus haute dans le thon que dans les autres poissons. Face à ce risque sanitaire, Bloom et Foodwatch appellent les distributeurs, dont Carrefour, à appliquer “un seuil de 0,3 mg/kg de poisson frais”, contre 1mg/kg de poissons frais actuellement, “comme c’est déjà le cas pour d’autres poissons dans la réglementation”.
D’autre part, le thon que l’on consomme est majoritairement pêché grâce à des senneurs, des bateaux de grande taille qui peuvent déployer des dispositifs de concentration de poissons (DCP). Cette méthode utilisée de manière intensive agrège la vie marine sans distinction, sacrifiant des espèces “sensibles”, comme des tortues et des poissons juvéniles. A cette pratique néfaste pour les stocks de poissons et plus largement pour la biodiversité, s’ajoutent de nombreuses atteintes aux droits humains. Travail forcé, torture, malnutrition, violences sexuelles… “40% des violations de droits humains de l’industrie de la pêche sont commises sur des navires thoniers”, précise Héléna Vullierme, chargée de projet pour Bloom.
Manque de “transparence”
“Carrefour a été incapable de faire preuve de la transparence nécessaire pour montrer qu’il n’a aucun lien avec les fournisseurs qui ont été accusés de ces abus”, ajoute-t-elle. De son côté, l’entreprise interrogée par Novethic “conteste fermement ces accusations” et affirme appliquer “des standards stricts à ses fournisseurs de marque propre”, incluant notamment “la présence d’un observateur extérieur” sur les bateaux de pêche. Le distributeur souligne également avoir “stoppé tout approvisionnement en thon albacore pêché dans l’océan Indien”, notant que “Bloom et Foodwatch ont reconnu cette initiative comme une avancée majeure”.
“Nous avons en effet salué cette mesure, mais malgré son apparence satisfaisante, elle reste problématique, répond Héléna Vullierme. Carrefour continue de commercialiser une autre espèce, la bonite, qui est pêchée en association avec le thon albacore, avec les mêmes pratiques. La pêche de cette espèce n’est donc pas forcément suspendue”. Son périmètre d’application serait par ailleurs trop restreint : elle ne concerne que la marque distributeur de l’entreprise, exemptant toutes les marques nationales alors que ces dernières représentent 70% de ses ventes de thon en conserve, selon Bloom. “Nous demandons que toutes les activités de Carrefour soient couvertes comme le prévoit la loi sur le devoir de vigilance”, complète Pauline Bricault. La première audience se tiendra le 15 mai prochain.