Sous les eaux. Voilà quel pourrait être l’avenir des plus grand ports pétroliers du monde. D’après deux études publiées en mai 2024, puis en janvier 2025, le think tank China Water Risk et le centre de recherche international Zero Carbon Analytics estiment que treize des quinze ports mondiaux les plus fréquentés par les supertankers, ces immenses navires-citerne transportant du pétrole, sont menacés par la hausse du niveau des océans.
Localisés aux Etats-Unis, en Russie, aux Pays-Bas, à Singapour, en Corée du Sud ou encore en Chine, ces sites pétroliers pourraient voir leurs infrastructures, comme les jetées, les sites de stockage et les raffineries, endommagés par les eaux, les rendant inexploitables. Parmi les ports les plus à risque, les chercheurs pointent ceux de Ras Tanura et Yanbu, en Arabie Saoudite, dont la situation en basse altitude les fragilise particulièrement. Exploités par la compagnie pétrolière publique saoudienne Aramco, première productrice au monde, ils concentrent 98% des exportations pétrolières du royaume.
20% des exportations mondiales de pétrole
Un véritable risque pour l’industrie des combustibles fossiles : au total, les treize sites listés par les auteurs des rapports représentaient en 2023 près de 20% des exportations mondiales de pétrole. “Il est ironique que ces ports pétroliers (…) soient contraints de surveiller la potentielle hausse des niveaux de la mer, qui résulte de l’utilisation continue des énergies fossiles”, souligne auprès du Guardian Pam Pearson, directrice de l’Initiative internationale sur la cryosphère et le climat (ICCI). Les activités de l’industrie pétrolière et gazière, de l’extraction des combustibles à leur consommation, seraient en effet à l’origine de plus de 40% des émissions de gaz à effet de serre mondiales.
Ces dernières, en participant au réchauffement de l’atmosphère et des océans, sont notamment responsables de la fonte des glaces. Résultat, selon l’ICCI, l’élévation d’un mètre du niveau des mers est aujourd’hui inévitable. Le phénomène pourrait même se produire plus tôt encore, dès 2070, dans le cas où les émissions de gaz à effet de serre ne diminuent pas et que les calottes glaciaires s’effondrent. Une hausse qui s’accélère d’après la Nasa : en trente ans, le rythme aurait plus que doublé. Les données recueillies par l’Agence spatiale américaine permettent d’estimer à 9,4 centimètres en moyenne l’élévation du niveau des océans depuis 1993.
“Une voie qui mène au désastre”
Et les conséquences sont nombreuses. La montée, lente et progressive, du niveau des océans expose les zones proches du littoral à une intensification et une multiplication des catastrophes naturelles, comme les inondations, les tempêtes et les cyclones. Elle peut également entraîner l’érosion des côtes et des glissements de terrain. Si certains pays pourraient être tentés de construire des digues pour protéger les infrastructures pétrolières, il s’agit pour les chercheurs de Zero Carbon Analytics d’une “bataille perdue d’avance”. Pour Théophile Bongarts-Lebbe chef de projet pour la plateforme Océan & climat interrogé en 2023 par Novethic, il s’agit d’une “solution extrêmement onéreuse” qui “pourrait ne pas suffire à éviter le risque à mesure que le réchauffement climatique s’accélère et que la montée des eaux s’accroit.”
Pour assurer leur sécurité énergétique, les Etats devront donc prendre en compte ce nouvel enjeu, tout autant lié au changement climatique qu’à leur consommation d’énergies fossiles. “Cette analyse montre que dépendre des combustibles fossiles dans un monde qui se réchauffe est une voie qui mène au désastre, résume dans le Guardian Murray Worthy, co-auteur du rapport publié par Zero Carbon Analytics. Les pays sont confrontés à un choix : conserver les combustibles fossiles et risquer des ruptures d’approvisionnement lorsque la montée des eaux inondera les ports et les terminaux, ou passer à des énergies renouvelables nationales sûres et durables.”