1% de croissance… entre super-profits et déconsommation
C’est l’indicateur roi des politiques économiques, celui que scrutent les économistes de plateaux télé, symbole théorique de la santé économique d’un pays : le PIB, Produit Intérieur Brut. En 2024, il affiche une hausse d’un peu plus de 1%, d’après les estimations et projections de l’Insee, qui devront être confirmées dans les prochaines semaines. Mais difficile d’interpréter cet agrégat, qui lisse la diversité des réalités économiques du pays. Derrière ce 1% de croissance se cachent en effet des tendances et des évolutions économiques bien différentes. En 2024, avant l’instabilité politique et économique, le CAC40 a ainsi battu son record historique, à plus de 8 000 points, tandis que la capitalisation des plus grandes entreprises françaises a dépassé le montant du PIB du pays, tirée par les industries du luxe et des énergies fossiles. Les marges des grandes entreprises sont en hausse selon l’Insee, au point de reposer la question des “super-profits”. De bons résultats qui contrastent avec les difficultés économiques des petites entreprises, ou encore des ménages, dont le pouvoir d’achat peine à augmenter. Certains analystes parlent même de déconsommation : en France, la consommation alimentaire a par exemple considérablement baissé ces dernières années, retombant à ses niveaux d’il y a 20 ans.
3 300 milliards de dette publique… sans compter la dette écologique
Plus que jamais, la dette publique a fait parler d’elle en 2024. Le déficit, annoncé à plus de 5%, et la dette cumulée s’établissant à près de 3 300 milliards d’euros, soit 112% du PIB, ont fait de la question budgétaire une priorité politique et médiatique. On a toutefois moins parlé de la dette écologique du pays, qui, elle aussi continue de s’alourdir. Concernant la seule dette climatique, l’Insee précise que “le cumul des empreintes carbone depuis 1850 par la France est estimé à 40,5 gigatonnes de CO2“. Soit, selon l’Institut, environ 7 000 milliards d’euros si l’on évalue ces émissions au niveau du coût social du carbone. Un chiffre qui porte la dette climatique à 240% du PIB, sans même prendre en compte la dégradation de la biodiversité, la contamination des sols, de l’air et des eaux, ou l’épuisement des ressources naturelles. Et il s’agit là d’une dette qu’une loi de finances ne pourra malheureusement pas résorber.
51% des Français insatisfaits des services publics
En 2024, la majorité des Français jugent la qualité des services publics insatisfaisante, selon un sondage Ifop. Un chiffre qui illustre l’épineuse question de la dégradation des services publics dans le pays. Sous-financées, de nombreuses administrations ne sont plus capables d’assurer les services publics essentiels dans les domaines de la santé, de l’éducation, d’accès au logement, ou de qualité des eaux… Le dernier rapport du collectif Nos Services Publics s’alarme ainsi du décalage croissant entre les besoins des usagers et la capacité d’action des services publics, marqués par un désengagement de la puissance publique et des logiques de privatisation.
4,7 millions de riches… et encore plus de pauvres
Symbole des inégalités qui se creusent en France, on compte désormais 4,7 millions de personnes considérées comme “riches” en termes de revenus selon les rapports 2024 de l’Observatoire des Inégalités. Ces personnes riches vivent avec plus de 3 860 euros mensuels après impôts pour une personne seule, 5 790 euros pour un couple ou 9 650 euros pour une famille avec deux enfants. A l’autre bout de l’échelle sociale, ce sont près de 5,1 millions de personnes qui sont considérées comme pauvres et vivent avec moins de 1 014 euros par personne. Des inégalités qui concernent aussi le patrimoine : en France, les 10% les plus riches détiennent 47% du patrimoine. Et depuis 2017, ces inégalités se sont accrues selon l’OFCE et l’Insee.
1,7% de hausses des salaires réels… toujours plombés par l’inflation
Selon les chiffres du ministère du Travail, les salaires réels, c’est-à-dire les salaires corrigés de l’inflation, ont connu une hausse de 1,7% en 2024 dans les entreprises privées de plus de 10 salariés. Une bonne nouvelle en apparence, mais qui masque les pertes de salaires importantes subies par les Français ces dernières années. Entre 2020 et 2023, le salaire réel des Français a ainsi baissé de plus de 3%, largement plombé par la hausse des prix à la consommation et l’inflation. Les hausses observées en 2024 ne compenseront donc même pas la moitié des pertes passées. L’inflation affiche quant à elle un taux de 1,1% pour 2024, très en dessous des niveaux de 2022 et 2023. Mais déjà, certains prédisent que les hausses de salaire vont ralentir en 2025… Provoquant probablement des pertes de pouvoir d’achat pour les citoyens.
3,5 fois plus d’hommes que de femmes parmi les hauts salaires
Concernant les salaires, un autre chiffre est à retenir : on compte 3,5 fois plus d’hommes que de femmes parmi les salariés les mieux payés en France. Parmi les 1% des salariés les mieux rémunérés du pays, on ne dénombre ainsi que 23% de femmes, contre 77% d’hommes. Une inégalité de salaire que l’on retrouve de manière progressive à toutes les échelles de rémunération : il y a seulement 34% de femmes parmi les 10% de salariés les mieux payés, et 18% dans les 0,1% les mieux payés. Les inégalités de salaire, mais aussi d’accès aux postes à responsabilité persistent donc en France, malgré les relatifs progrès acquis ces dernières années en matière d’égalité hommes-femmes en entreprise.
+0,1% de chômage… avant des plans sociaux massifs ?
En 2024, le chômage est reparti légèrement à la hausse. Le taux de chômage au sens du Bureau International du Travail atteint ainsi 7,4% selon les derniers chiffres de l’Insee. C’est 0,1% de plus qu’au premier semestre, et légèrement supérieur à la même période l’an dernier. Et la situation pourrait s’aggraver : chez Michelin, Auchan, Vencorex, ExxonMobil, les plans de licenciement se sont multipliés ces dernières semaines. Selon le ministère du Travail, 141 plans de sauvegarde de l’emploi et près de 24 000 suppressions de postes ont été dénombrés en France au troisième trimestre. Les syndicats craignent de leur côté que l’année prochaine soit marquée par une “saignée industrielle” avec un retournement durable du marché de l’emploi, alors que de plus en plus d’entreprises choisissent une stratégie de réduction des coûts. Si le chômage est en baisse relativement constante depuis 2015, 2024 pourrait donc marquer l’année de l’inflexion avant une hausse durable dans les prochaines années.
16% d’emplois précaires… deux fois plus qu’il y a 40 ans
A ces difficultés s’en ajoute une autre : la précarisation des emplois. Selon les analyses de l’Observatoire de la Société, 16% des emplois sont considérés précaires, une catégorie qui regroupe les emplois en intérim, en CDD, ou en apprentissage. C’est deux fois plus qu’il y a 40 ans. La multiplication des contrats précaires illustre les difficultés chroniques du marché du travail, où il est désormais de plus en plus difficile de trouver un emploi stable. Parallèlement, une part de plus en plus significative de l’emploi en France est constitué d’auto-entrepreneuriat et de travailleurs en freelance. En 2024, plus de 700 000 auto-entreprises auraient ainsi été créées, un record, pour un total, de près de 4,5 millions de travailleurs indépendants, auto-entrepreneurs et freelances. Un statut qui rime parfois aussi avec précarité, notamment pour les travailleurs des plateformes, de plus en plus nombreux, qui ne bénéficient pas des protections sociales du salariat.
2 morts par jour au travail… et des centaines de milliers de maladies et accidents professionnels
Si les chiffres ne sont pas encore arrêtés pour cette année, 2024 devrait, comme les années précédentes, afficher un triste bilan : 2 personnes meurent chaque jour à leur travail. Selon l’Assurance Maladie, on a dénombré 738 morts en 2022, 759 en 2023… et le premier semestre 2024 affichait déjà des chiffres records. Ces morts sont les terribles symboles de la dégradation des conditions de travail en France, accentuée par l’accélération du travail et la recherche permanente de productivité, comme l’ont montré les travaux de recherche sur le sujet ces dernières années. On compte également chaque année des centaines de milliers d’accidents du travail, mais aussi des maladies professionnelles, burn-out et dépressions liées au travail, dans les entreprises, où les normes de sécurité et les conditions de management sont malmenées notamment par les exigences de rentabilité.
7% seulement des salariés engagés… un record en Europe
Salaires trop faibles, emplois précaires, conditions de travail et de management difficiles, inégalités… L’économie française réunit donc les conditions d’un désengagement profond des salariés au travail. Selon l’institut Gallup, en 2024, à peine 7% des salariés se disent “engagés” dans leur travail, le chiffre le plus bas en Europe. Signe qu’une crise traverse le monde du travail en France ? En tout cas, selon le rapport People at Work, de plus en plus de salariés disent également subir du stress au travail, sans pour autant trouver la reconnaissance qu’ils recherchent auprès de leur employeur ou de leur manager. Près d’un tiers des salariés estiment même que leur employeur ne fait rien pour préserver ou améliorer leur santé mentale au travail.