Le droit en matière climatique va-t-il être renforcé ? Pendant deux semaines, du 2 au 13 décembre, la Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute juridiction au monde, va auditionner près d’une centaine de pays et 12 organisations internationales avant de rendre un avis consultatif, non contraignant, dans le courant de l’année 2025 qui déterminera quelles sont les obligations et responsabilités des États sur le sujet. “L’issue de ces procédures aura des répercussions sur plusieurs générations, déterminant le sort de nations comme la mienne et l’avenir de notre planète”, a déclaré en ouverture Ralph Regenvanu, envoyé spécial pour le changement climatique au Vanuatu, lundi 2 décembre. Ces audiences sont “un tournant dans la lutte mondiale contre le changement climatique“, a-t-il ajouté.
C’est le petit archipel du bout du monde qui est à l’origine de l’affaire. En 2019, une trentaine d’étudiants de l’université du Pacifique-Sud, rejoint ensuite par d’autres étudiants du monde entier pour former la coalition World’s Youth for Climate Justice (WYCJ), avaient lancé une campagne afin d’obtenir un tel avis de la CIJ. Le Vanuatu avait pris le relais en 2021 et porté le sujet au sein de l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU), soutenu par 130 Etats. Le 29 mars 2023, l’AGNU adoptait une résolution historique par consensus dans laquelle elle appelait à saisir les juges de la CIJ.
“Ouvrir la voie à des poursuites judiciaires contre les États”
Les juges vont devoir répondre à deux questions clés. La première : quelles obligations les Etats ont-ils en vertu du droit international pour assurer la protection du système climatique et d’autres éléments de l’environnement contre les émissions anthropiques de gaz à effet de serre pour les États et pour les générations présentes et futures. La deuxième : quelles sont les conséquences juridiques de ces obligations, lorsque les Etats, « par leurs actes et leurs omissions, ont causé des dommages importants au système climatique » à l’égard des États, notamment des petits États insulaires en développement, et à l’égard des peuples et des individus des générations présentes et futures ?
Bien que l’avis ne soit que consultatif et donc non contraignant, le fait qu’il émane de la Cour internationale de justice lui confère un poids légal et moral important. Les tribunaux pourront le prendre en compte dans leurs propres décisions alors qu’ils sont de plus en plus souvent saisis sur les enjeux climatiques. “Un avis judiciaire ambitieux pourrait fournir une boussole essentielle“, commente Joie Chowdhury, avocate principale, au sein du Centre pour le droit international de l’environnement.
La procédure va également donner l’occasion aux pays du Sud de se faire entendre sur un pied d’égalité, puisqu’ils auront le même temps de parole que les autres Etats (30 minutes pour chaque entité), ce qui n’est pas le cas au sein des COP, ces sommets climatiques, où ils peinent à être entendus. Pour les observateurs, il s’agit également d’une “voie complémentaire aux négociations climatiques” qui peinent à aboutir sur des avancées concrètes. “Cette procédure a le potentiel de provoquer un changement significatif pour sortir de l’inertie politique qui a entravé les négociations climatiques jusqu’alors, redonner une vraie puissance juridique à l’Accord de Paris et pourrait notamment ouvrir la voie à des poursuites judiciaires contre les États”, notent le Réseau Action Climat (RAC) et World’s Youth for Climate Justice dans un communiqué commun.
La Chine, les Etats-Unis et la France entendus cette semaine
“Le monde compte sur vous”, a lancé le Premier ministre d’Antigua-et-Barbuda, lors de la première journée d’audience, lundi 2 décembre. Il a été suivi par le représentant de l’Arabie Saoudite qui a soutenu que “l’Accord de Paris ne peut pas être interprété comme prévoyant une obligation de résultat”. Dans son discours, l’Australie a aussi appelé à “limiter l’application des normes juridiques existantes liées à la responsabilité des États”. Les pays producteurs d’énergies fossiles ainsi que les pays du Nord, qui ont historiquement contribué au changement climatique, s’opposent globalement à une judiciarisation de la question climatique. La Chine doit prendre la parole ce mardi 3 décembre, suivie par les Etats-Unis mercredi 4 décembre et la France jeudi 5 décembre.
Si la CIJ devra prendre en compte ces contributions, elle devra aussi s’appuyer sur d’autres décisions prises plus tôt cette année. Le Tribunal international du droit de la mer a ainsi été la première juridiction internationale à se prononcer sur les obligations internationales des États dans la lutte contre le changement climatique. Il a confirmé que les Etats Parties à la Convention internationale de Montego Bay sur le droit de la mer ont l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution marine résultant des émissions anthropiques de gaz à effet de serre. La Cour européenne des droits de l’Homme avait également estimé en avril dernier que la Suisse avait violé les droits humains de ses citoyens en n’en faisant pas assez pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre.