Ce serait la première mine de lithium en France et l’une des plus grandes du continent européen. Présenté en 2022, le projet, qui doit voir le jour fin 2028 à Echassières dans l’Allier, vient de franchir une nouvelle étape en obtenant le statut de projet d’intérêt national majeur (PINM), par un décret publié début juillet. Cette nouvelle notion, introduite par la loi Industrie verte de 2023, permet aux projets d’importance “pour la transition écologique ou la souveraineté nationale” de bénéficier de mesures d’accélération ou de dérogation administratives pour leur implantation.
Certains se sont émus de la publication d’un tel décret alors que la consultation publique est toujours en cours et qu’elle ne s’achèvera qu’à la fin du mois de juillet. Lors d’un débat, Pascale Trimbach, préfète de l’Allier, s’est voulu rassurante et à précisé que cette procédure ne dispensait “en aucune façon des phases d’évaluation environnementale et de toutes les consultations du public“. De même, Benjamin Gallezot, délégué interministériel aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques, affirme que “les prises de position, que ce soit par exemple avec un décret PINM (…) ou par la parole d’un représentant de l’État (…) ne préjugent pas des autorisations qui seront données le moment venu”.
“Une mine responsable”
Reste que ce décret s’inscrit bel et bien dans la volonté de la France, et de l’Europe, de réduire sa dépendance aux importations de lithium, un minerai utilisé dans les batteries Lithium-ion des voitures électriques et identifié comme critique par la Commission européenne en 2020. “En France, on n’a pas de pétrole, mais on a du lithium”, avait lancé Emmanuel Macron en octobre 2022, en référence à un célèbre slogan datant de la crise pétrolière de 1973. “Si on fait des batteries, il faut pouvoir sécuriser les approvisionnements en matières premières. C’est pour ça qu’on va ouvrir des mines de lithium”, avait expliqué le chef de l’Etat.
Alors que le lithium produit dans le monde provient majoritairement d’Australie, du Chili et de la Chine – dans des conditions environnementales qui sont régulièrement pointées du doigt – Imerys, le groupe qui porte le projet, promet une “mine responsable” et un lithium produit “avec des émissions inférieures de moitié à celles de toutes les autres exploitations de lithium en roches existantes aujourd’hui dans le monde”.
Par exemple, l’entreprise prévoit un transport des minerais par canalisation souterraine puis par train, ce qui éviterait, selon ses calculs, “100 camions par jour”. De même, 90% de l’eau utilisée sera recyclée et la raffinerie, située à Montluçon, utilisera les eaux usées de la station d’épuration. Pour ce qui est des résidus, Imerys table sur la valorisation d’une partie d’entre eux, la grande majorité devant servir de remblais pour remplir les chambres d’extraction de la mine de lithium au fur et à mesure, mais aussi pour remplir progressivement la fosse de la carrière de kaolin à Échassière, exploitée depuis 2005, soit 1,35 million de tonnes de résidus par an.
“Plus de déchets que de ressources”
Mais sur ce point, les chiffres du dossier du maître d’ouvrage donnent le tournis et sont difficiles à interpréter. Au total, ce sont 2,1 millions de tonnes de granite qui vont être extraites chaque année. Mais seulement 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium seront produites pour approvisionner les usines de production de batteries prévues dans le nord de la France. Si environ 140 000 tonnes des minéraux issus de la transformation pourraient être valorisés, il restera encore 600 à 800 000 tonnes de résidus solides, qu’il faut ajouter au 1,35 million de tonnes issues de la phase de concentration, soit au total 2,1 millions de tonnes de résidus à stocker. Autant que ce qui a été extrait.

“Il faut avoir en tête qu’une mine produit infiniment plus de déchets que de ressources, les teneurs en métaux, étant extrêmement faibles. Des déchets qui s’accumulent et dont on ne sait pas bien ce qu’on va en faire”, explique à Novethic Celia Izoard, philosophe, journaliste et autrice de “La Ruée minière au XXIe siècle”. Interrogé, Imerys n’a pas donné suite à notre demande. Dans le dossier du maître d’ouvrage, au-delà de ce qui sera stocké sur place, il est simplement indiqué que 600 à 800 000 tonnes de résidus solides “seraient si possible valorisés ou utilisés en réhabilitation de carrières existantes et possédant le fond géochimique et les autorisations environnementales adéquates”. Rien de définitif donc.
Revoir notre modèle de société
Pour les opposants au projet, au-delà de l’impact environnemental du projet, c’est son intérêt qui est remis en cause et qui doit nous interroger sur le modèle de société que nous souhaitons. “Transition énergétique, oui, mais en consommant moins, sobriété oblige. Nous ne devons surtout pas transférer sur les métaux nos besoins en énergie fossile, voire les additionner”, estime Michelle Petit, vice-présidente de France Nature Environnement Allier, lors d’une réunion publique. “Le motif de la transition énergétique pour régler le problème du changement climatique, c’est une chimère, tout simplement”, complète Fabienne Thierry, présidente de l’association locale.
Une position partagée par Celia Izoard, qui estime qu'”on profite de la transition énergétique pour redorer le blason de l’industrie minière.” Dans son ouvrage, elle évoque ainsi l’utilisation de ces métaux pour d’autres secteurs généralement peu mis en avant comme le numérique, l’aéronautique, ou encore l’armement. Elle appelle ainsi à faire la différence entre extraction de luxe et extraction de subsistance. Dès lors, il faudrait se demander dans quelle catégorie entre la mine de lithium de l’Allier, censée équiper chaque année 700 000 véhicules électriques, le plus souvent des SUV particulièrement gourmands en matériaux.