Les actionnaires contre-attaquent. La fondation Ethos a décidé de saisir le tribunal de commerce de Nanterre pour faire examiner par le juge le rejet de la résolution par le conseil d’administration de TotalEnergies. L’assemblée générale du groupe doit se tenir le 24 mai prochain. Soutenue par le Forum pour l’investissement responsable (FIR) et par la coalition d’investisseurs co-déposants de la résolution, Ethos veut dénoncer “une entrave à la démocratie actionnariale“.
Les 19 investisseurs avaient déposé leur proposition de résolution le 18 avril dernier, la date limite, afin de demander que soit revue la gouvernance du groupe. Une semaine plus tard, TotalEnergies annonçait que le texte ne serait pas inscrit à l’ordre du jour de l’AG. Le conseil d’administration invoquait des arguments juridiques, les dispositions du Code de commerce ne prévoyant “pas expressément la possibilité de déposer une résolution consultative. En revanche, le droit prévoit expressément pour eux la possibilité de déposer des points (sans vote) pour provoquer un débat en assemblée générale“.
Deux logiques s’affrontent
Des arguments que réfutent les investisseurs, qui estiment dans un communiqué que “aucune disposition du Code de commerce ne permet d’interdire aux actionnaires de déposer un projet de résolution consultatif à l’ordre du jour d’une assemblée générale“. La coalition, qui détient en cumulé 0,9% du capital de l’entreprise soit près de 1,3 milliard d’euros de sa capitalisation boursière, avait pris l’option de déposer une résolution consultative, donc non contraignante, afin de mettre toutes les chances de son côté. Le vote aurait permis aux actionnaires de donner leur avis sur une éventuelle séparation des pouvoirs entre le président du conseil d’administration et le directeur général, et “d’envoyer un signal au conseil d’administration dans le cadre de ses réflexions sur la gouvernance d’entreprise“, déclare Vincent Kaufmann, le directeur de la fondation Ethos.
C’est donc une bataille juridique visant à mieux définir le droit des actionnaires en France qui s’engage. Dans un billet LinkedIn, l’avocate Sophie Vermeille, qui représente la coalition d’investisseurs, explique que “les actionnaires de TotalEnergies demandent au tribunal de commerce de Nanterre de confirmer qu’il n’y a aucune raison d’interdire l’inscription à l’ordre du jour des assemblées générales des résolutions consultatives lorsque leur dépôt respecte les conditions fixées par décret“.
Faire évoluer la jurisprudence
L’avocate insiste sur le fait que la résolution fait bien la différence entre les rôles des actionnaires et du management de l’entreprise. “Les actionnaires veulent faire entendre leur voix sur la gouvernance et laissent au conseil d’administration de TotalEnergies la décision de dissocier les rôles de président et de directeur général“, écrit-elle. Dans son argumentaire contre la résolution actionnariale, le groupe pétrolier fait valoir que la décision du renouvellement du mandat de Patrick Pouyanné en tant que président-directeur général a été étudiée par le conseil d’administration, qui a détaillé sa décision dans le document d’enregistrement universel pour l’année 2023. Pour l’entreprise, le vote n’est donc pas nécessaire.
Deux logiques continuent donc de s’affronter entre, d’un côté, un émetteur qui ne veut pas être contraint par les votes en AG et, de l’autre, des investisseurs qui, dans une logique de dialogue actionnarial, veulent utiliser leur droit de vote pour contribuer à améliorer la gouvernance de leur entreprise. Le Tribunal de commerce de Nanterre va donc devoir trancher et faire évoluer – ou pas – la jurisprudence sur le droit des actionnaires, la précédente datant de 1946, la Cour de cassation ayant alors défini les limites des prérogatives de l’assemblée générale et du conseil d’administration.