Accusée de collaborer avec les industries des énergies fossiles, Havas, groupe français de communication, pourrait bientôt perdre sa certification B-Corp. Suite à des plaintes, l’organisme à but non lucratif B-Lab, chargé notamment d’évaluer les entreprises certifiées B-Corp, a en effet lancé fin janvier une enquête officielle.
B-Lab cherche notamment à savoir si la signature par Havas de contrats avec le groupe pétrolier Shell constitue une “violation […] des valeurs fondamentales de la communauté B-Corp“. Le label qui rassemble des “entreprises engagées dans le cadre de leurs activités pour avoir un impact positif au plan social et environnemental” a en effet une politique d’exclusion de certaines entreprises polluantes, notamment dans les énergies fossiles.
Havas et Shell : des plaintes dans la communauté B-Corp
En septembre 2023, la société Havas avait été choisie par Shell, groupe pétrolier britannique, pour assurer l’un de ses grands contrats publicitaires. L’annonce de ce deal avait alors suscité des réactions critiques. L’ONG Fossil Fuel Treaty, qui milite pour un “traité de non-prolifération des énergies fossiles“, déclarait sur son site qu’Havas avait “choisi le mauvais côté de l’histoire en décidant de soutenir la pire des pires industries du monde“, et coupait ses contrats avec l’agence. Des critiques qui ont aussi agité la communauté B-Corp : fin 2023, une vingtaine de sociétés labellisées B-Corp déposaient une plainte publique auprès de B-Lab, demandant le retrait de la certification pour les filiales Havas labellisées (Havas New York, London, Lemz, et Immerse).
“Nous pensons qu’en permettant aux agences de publicité et de relations publiques ayant le statut B-Corp de travailler avec des entreprises polluantes du secteur des combustibles fossiles, nous sapons toutes les valeurs fondamentales énumérées dans la Déclaration d’interdépendance [de B-Corp]” indiquaient ainsi les membres du collectif dans une lettre ouverte. Ils considèrent qu’en fournissant ses services à Shell, Havas “nuirait à la planète, aux communautés touchées par le changement climatique, [ce qui] constituerait un acte d’irresponsabilité envers les générations futures“, en violation des principes B-Corp.
Un retrait possible de la certification B-Corp
Contactée, l’organisation B-Lab France a fait savoir à Novethic que B-Lab Global allait procéder à une enquête formelle, pouvant mener à la “suspension du label B-Corp” avec “obligation de prendre des mesures correctives“, voire à sa révocation pure et simple. B-Corp établit en effet des critères précis permettant aux entreprises du secteur des énergies fossiles d’obtenir une certification dont l’obligation pour au moins 50% du portefeuille énergétique d’être bas-carbone. La question est donc de savoir si les agences travaillant pour des entreprises ne respectant pas ces critères pourraient conserver leur propre certification. Après que Shell ait reculé sur ses objectifs climatiques en 2023, et annoncé il y a quelques semaines, selon Reuters, sa volonté de détruire 15% de ses emplois dans la transition énergétique, la controverse prend tout son sens.
Havas n’a pour l’instant pas répondu aux sollicitations de Novethic sur le sujet, mais Yannick Bolloré, dirigeant du groupe, déclarait récemment dans le média spécialisé Ad Age qu’il ne considérait pas le contrat avec Shell comme un problème : “Nous continuons à dire que nous ne participerons à aucune opération d’écoblanchiment, mais une fois que nous avons dit cela, la question est de savoir où l’on met la limite. Je suis convaincu que nous aurons un impact plus fort et plus significatif en nous associant à toutes les entreprises, à condition qu’elles s’engagent elles-mêmes dans la transition”.
L’enquête pourrait encore prendre plusieurs semaines, et devrait contribuer à clarifier un débat qui anime régulièrement les agences de consultants : celui de savoir si les professionnels de la transition écologique et sociale doivent ou non accepter de travailler avec les industries les plus polluantes. En attendant la réponse de B-Lab, une partie de la communauté B-Corp s’est positionnée, déclarant que “les agences de marketing et de relations publiques ont joué un rôle essentiel dans le plan commercial dangereux de Shell“, dont les communications sont régulièrement pointées du doigt pour leur usage du greenwashing.