Barcelone et 200 communes alentour ont été placées en état d’urgence à la sécheresse jeudi 1er février. Une mesure inédite pour la deuxième ville d’Espagne, onzième ville la plus peuplée d’Europe, et véritable poumon économique de la péninsule. La Generalitat, qui dirige la région, a tenté de repousser au maximum ce moment fatidique, mais après trois ans de sécheresse et des températures printanières observées en plein hiver, la situation est devenue particulièrement critique. Les réserves d’eau sont passées sous la barre des 100 hectomètres cubes, le seuil limite pour déclencher l’alerte.
Limitation de la consommation d’eau à 200 litres par habitant et par jour (puis à 180 et 160 litres), baisse de la pression au robinet, douches des gymnases fermées, arrosage des espaces verts réduits au strict minimum, interdiction de laver sa voiture et remplir sa piscine, même pour une mise à niveau… au total ces mesures s’appliqueront à quelque six millions d’habitants. Les professionnels sont aussi mis à contribution avec une baisse de la consommation d’eau de 25% dans l’industrie, de 50% pour les éleveurs et de 80% pour les agriculteurs, qui ont bien souvent déjà renoncé à leurs récoltes.
“Vider l’eau du Titanic avec une petite tasse en or”
“La Catalogne souffre de sa pire sécheresse depuis un siècle. Nous n’avons jamais été confrontés à un épisode aussi long et intense depuis que nous tenons des registres pluviométriques”, a justifié Pere Aragonès, le président de la Generalitat lors d’une conférence de presse. Il a appelé les citoyens à lutter ensemble contre la sécheresse, comme cela s’est produit avec la pandémie de Covid-19 : “La crise climatique nous met à l’épreuve comme lors de la pandémie”, a-t-il ajouté.
Il n’écarte pas le recours à un ravitaillement d’eau potable via bateau citerne, comme cela avait déjà été le cas lors du précédent épisode de sécheresse en 2008. “C’est une solution totalement absurde”, dénonce auprès de Novethic la chercheuse Julia Martin-Ortega de l’université de Leeds, spécialisée en économie de l’écologie. “C’est comme vider l’eau du Titanic avec une petite tasse en or, ça coûte très cher et ça ne résout pas le problème”. En 2012, elle avait publié une étude qui chiffrait la sécheresse de 2007-2008 à 1 600 millions d’euros, soit 0,48% du PIB régional.
Pour elle la solution doit passer par un changement de paradigme, au risque sinon de n’être qu’un “pansement”. Le plan de lutte contre la sécheresse du gouvernement régional mise avant tout sur les usines de dessalement de l’eau de mer et la réutilisation des eaux usées avec de nouvelles stations en construction. “Ce sont des solutions ponctuelles et limitées. Je ne dis pas qu’il ne faut pas les mettre en place mais elles ne vont pas permettre d’affronter le vrai problème : à savoir que notre économie est basée sur des ressources qui s’épuisent”, ajoute la spécialiste.
Revoir un modèle basé sur le tourisme
“Ces technologies devraient fonctionner comme des réserves en cas de besoin, mais elles ne peuvent en aucun cas constituer des ressources structurelles, car elles consomment beaucoup d’électricité et, par conséquent, augmentent le prix de l’eau et contribuent au changement climatique”, préviennent également plusieurs collectifs environnementaux espagnols, dont fait partie Greenpeace. Ils appellent à revoir un modèle basé sur la construction et le tourisme, alors que la région a accueilli près de 17 millions de touristes, en hausse de 21% sur un an.
🔴CATALUÑA,
EN EMERGENCIA POR SEQUÍA.Pero no es solo falta de lluvia,
ES MALA GESTIÓN.Desde el turismo desbocado, con 17 millones de turistas, a la ganadería industrial, con 8 millones de cerdos… ¡Es el sistema el que seca el futuro!#NoEnRaja
ℹ️👉https://t.co/NZo7O8aXrJ pic.twitter.com/JfYNX9ODBv— Greenpeace España (@greenpeace_esp) February 1, 2024
Les organisations pointent le laxisme des autorités sur un secteur clé pour l’économie catalane, mais très gourmand en eau. Elles ont repoussé trop longtemps les mesures d’urgence pour le remplissage des piscines des hôtels et avaient reporté des sanctions en cas de non-conformité à après l’été. Les ONG appellent à un moratoire sur l’occupation touristique et à sa limitation lors d’épisodes de sécheresse. Selon des données de 2016, les Barcelonais consomment en moyenne 163 litres par jour contre 545 litres dans les hôtels cinq étoiles. Ces derniers envisagent pour l’instant de remplir leurs piscines avec de l’eau de mer…