Publié le 6 février 2024

90% des actifs des banques européennes ne sont pas alignés avec les objectifs de l’Accord de Paris, s’alarme la Banque centrale européenne. La trop forte exposition des établissements bancaires aux actifs fossiles fait peser un risque de plus en plus grand sur le système financier. Les autorités de supervision européenne se penchent de plus en plus près sur le sujet, mais hésitent encore à aller jusqu’à exiger davantage de fonds propres pour financer ces actifs.

Des signaux faibles… Les superviseurs bancaires européens vont devoir commencer à prendre en compte le risque climatique dans la réglementation prudentielle bancaire. En décembre dernier, la Commission européenne, le Parlement et le Conseil se sont mis d’accord sur les textes de transposition des accords de Bâle relatifs aux règles prudentielles bancaires, notamment la révision de la directive CRD IV (Capital requirement directive). Les exigences en capital pour les actifs bruns ou verts ne sont cependant toujours pas à l’ordre du jour. Le législateur européen préfère obliger les banques à rédiger des plans de transition prudentiels que l’Autorité bancaire européenne (EBA) sera chargée de définir. Mais cela suffira-t-il ?

Le risque climatique est désormais largement considéré comme systémique pour les banques, qui détiennent encore massivement des actifs liés aux énergies fossiles dans leurs comptes. Inquiète du fait qu’elles ne soient pas alignées avec l’Accord de Paris, la Banque centrale européenne (BCE) a décidé de passer leurs bilans en revue. Et n’a pas été satisfaite du résultat : 90% des plus grands établissements européens présentent des financements qui ne sont pas alignés avec la politique climatique européenne. Ces banques, qui génèrent 60% de leurs revenus avec des entreprises dans des secteurs carbo-intensifs, se trouvent face à un risque de transition élevé, avec de potentiels actifs échoués en portefeuille. “Il ne nous appartient pas à nous, superviseurs, de dire aux banques à qui elles doivent ou non prêter. Mais nous continuerons à insister pour que les banques gèrent activement leurs risques à la mesure de la décarbonation de l’économie“, martèle ainsi Frank Elderson, membre du comité exécutif de la BCE.

“La boîte à outils actuelle n’est pas adaptée”

Les différentes autorités bancaires multiplient les réflexions pour tenter d’endiguer le risque d’actifs échoués. Mais semblent toujours hésiter à sortir l’artillerie lourde. La BCE et le Conseil européen du risque systémique (ESRB), qui ont publié en décembre le rapport “Vers un cadre macroprudentiel pour gérer le risque climatique”, reconnaissent donc la dimension macroprudentielle de ce risque… mais ne se prononcent pas pour une augmentation du ratio de capital face aux actifs fossiles. De son côté, le Comité de Bâle a lancé fin novembre une consultation ouverte jusqu’à fin février sur l’établissement d’un cadre de reporting des risques climatiques pour les banques. En octobre dernier, l’Autorité bancaire européenne (EBA) a recommandé de demeurer dans le régime prudentiel existant pour appréhender ces risques climatiques dans son rapport “Sur le Rôle des risques environnementaux et sociaux dans le cadre prudentiel”.

Tous ces rapports disent qu’un y a un vrai sujet de risque climatique pour les actifs financiers, que la politique macro prudentielle devrait le regarder parce que c’est son rôle de prévenir les crises financières, et que la boîte à outils actuelle n’est pas adaptée. Ce qu’ils en concluent est qu’il faut donc étudier plus le sujet…“, déplore Thierry Philipponnat, chef économiste de Finance Watch. Pour l’ONG bruxelloise, il faut aller plus vite. Elle propose “un nouvel outil qui repose sur le fait que quand une banque prête pour financer un actif, il doit y voir une relation entre la valeur de cet actif et le montant du prêt, un ratio prêt/valeur, comme cela existe pour l’immobilier“, explique le chef économiste.

Approche individuelle du risque climat

Quand un certain seuil d’exposition d’une banque serait franchi, une augmentation de l’exigence en capital serait imposée pour un financement. Dans la mesure où 23% des réserves d’énergie fossiles de la planète sont encore exploitables pour limiter le réchauffement de +2°C (77% des réserves doivent être laissées sous le sol), ce seuil de déclanchement pourrait être à 23%. Au-delà de ce seuil, l’exigence en fonds propres pour le financement des actifs fossiles passerait à 12%, ratio appliqué aux actifs “particulièrement risqués” (Private Equity, immobilier professionnel spéculatif) selon les accords prudentiels internationaux de Bâle III, contre un ratio de 8% pour un financement standard. Une proposition qui n’a pas été retenue par les législateurs européens lors de la révision des règles de Bâle III en janvier 2023. “Elle pourrait devenir plus acceptable dans le cadre d’un outil à la main des régulateurs qui l’actionneraient selon la situation, comme c’est le cas avec le “Loan-to-value” immobilier“, espère Thierry Philipponnat.

La Fédération bancaire française (FBF), de son côté, n’a jamais été favorable aux augmentations des exigences en capital. Elle avait lancé en 2016 la proposition d’un “Green Supporting Factor”, pour alléger les exigences en fonds propres pour les financements verts, sans l’accompagner d’un “brown penalizing factor” pour les actifs carbonés. Elle se rapproche aujourd’hui de la position de l’Autorité bancaire européenne. “La prise en compte du climat dans les règles prudentielles n’est pertinente que si le climat a un impact sur le profil de risque des banques. L’EBA dans son rapport d’octobre 2023 a justement montré qu’il n’y avait pas de données chiffrées passées ou prospectives qui devraient conduire à modifier les règles prudentielles pour tous. En revanche, selon le business model de chaque banque, ses pratiques, ses clients, etc., le superviseur peut en tenir compte de manière individuelle“, indique la FBF à Novethic.

Du côté des assureurs, le Conseil et le Parlement européens se sont mis d’accord le 13 décembre 2023 sur des mesures de durabilité dans le cadre de la révision de Solvabilité II, les règles prudentielles concernant l’assurance. Pénaliser les actifs fossiles dans le bilan des assurances n’en fait pas partie mais sera peut-être au menu des travaux de l’EIOPA (Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles). Elle a lancé une consultation sur le traitement prudentiel des risques de durabilité ouverte jusqu’au 22 mars.

 

Découvrir gratuitement l'univers Novethic
  • 2 newsletters hebdomadaires
  • Alertes quotidiennes
  • Etudes