Publié le 13 juin 2023
Surveillance, assignation à résidence, judiciarisation, multiplication et durcissement des condamnations… Les mesures prises à l’encontre des collectifs écologistes sont pointées du doigt partout en Europe. Un phénomène qui pourrait provoquer un durcissement de la lutte, prévient la chercheuse au CNRS Sylvie Ollitrault.
"La France est le pays qui a une répression de plus en plus violente à l’égard des manifestations." Cette phrase n’a pas été prononcée par un activiste mais par Michel Forst, rapporteur spécial de l’ONU sur les défenseurs de l’environnement, dans une interview au média Blast le 29 mai 2023. Un constat partagé par les militants qui dénoncent depuis des mois une criminalisation croissante des mouvements écologistes dans le pays. "Ça fait 10 ans que je fais de l’activisme et l’escalade de la violence ces derniers temps contre les militants écologistes est insupportable", témoigne dans un communiqué Damien, membre d’Alternatiba présent lors d’une action de blocage en amont de l’assemblée générale de Total.
Dernière illustration en date, le lundi 5 juin, une quinzaine d’activistes ont été interpellés et placés en garde à vue simultanément dans huit communes françaises. Les arrestations ont été menées dans le cadre d’une enquête pour "association de malfaiteurs" et "dégradations en bande organisée", suite à une action de sabotage conduite en décembre 2022 dans une usine du cimentier Lafarge, près de Marseille.

Des mesures relevant de la lutte anti-terroriste


Pour les observateurs, cette gradation est corrélée aux demandes de plus en plus pressantes des militants qui dénoncent l’inaction climatique en visant les secteurs les plus carbo-intensifs. "Les mobilisations les plus réprimées sont souvent celles qui interpellent des groupes d’intérêt, des entreprises ou des États qui ne tiennent pas leurs engagements", souligne à Novethic Sylvie Ollitrault, directrice de recherche CNRS en sciences politiques.


Une manière d’augmenter la pression sur l’engagement et de décourager les participants, selon cette spécialiste des mouvements écologistes. En parallèle, le gouvernement peut avoir recours à des dispositifs préventifs, comme les assignations à résidence, mais aussi à des mesures relevant de la lutte anti-terroriste. C’est le cas notamment de la dissolution des Soulèvements de la Terre, annoncée par le ministre Gérald Darmanin en vertu de la loi séparatisme, adoptée en 2021 dans le but de lutter contre l’islamisme radical.  


En Allemagne, au Royaume-Uni…


Le phénomène ne se limite par ailleurs pas seulement à la France. Outre-Rhin, une quinzaine de perquisitions visant des membres du collectif Letzte Generation, qui milite pour alerter sur l’urgence climatique à travers des blocages et des actions dans des musées, ont été menées le 24 mai 2023. Ils sont notamment soupçonnés d’avoir collecté des fonds dans le but d’entreprendre des actions illégales et de "formation ou soutien d’une organisation criminelle". L’association est particulièrement visée par le gouvernement qui a multiplié les actions à son encontre ces derniers mois. En un peu plus d’un an, plus de 2 500 procédures judiciaires auraient été ouvertes contre les activistes uniquement à Berlin, rapporte Le Monde


Au Royaume-Uni, les condamnations envers les militants écologistes frappent également par leur sévérité. Le 13 avril 2023, deux activistes de Just Stop Oil, Morgan Trowland et Marcus Decker, ont écopé de peines atteignant respectivement trois ans et deux ans et sept mois de prison pour avoir participé au blocage d’un pont londonien en octobre 2022. L’action, qui a conduit la police à fermer la circulation pendant plusieurs heures, avait pour objectif d’appeler à la fin des énergies fossiles. Une campagne, lancée par le collectif en avril 2022, durant laquelle 138 personnes ont été emprisonnées.


"Un jeu dangereux"


Depuis quelques mois, la situation s’est par ailleurs compliquée pour les militants britanniques, le gouvernement ayant adopté coup sur coup une loi et un amendement restreignant la liberté de manifester. Le Police Crime, Sentencing and Courts Act permet ainsi l’arrestation d’activistes soupçonnés de participer à des opérations de "blocage sérieux" ou de "marche lente" avant même un passage à l’action. "La criminalisation, c’est un jeu dangereux pour la mobilisation, mais aussi pour la démocratie et le pacte social avec les citoyens", avertit Sylvie Ollitrault.
La politologue souligne la possibilité de générer, en réponse, une radicalité chez les militants même les plus modérés. "Ce que j’entends beaucoup au sein des mouvements écologistes, même les plus consensuels, c’est qu’ils ont joué le jeu des concertations, des pétitions et des réunions publiques. Et ils n’ont pas été écouté. Il y a une sorte de lassitude militante", explique-t-elle. Et le contexte social ne va pas aller en aidant, en particulier en France. Après un hiver placé sous la question des retraites et alors qu’une génération post-covid désillusionée émerge, "c’est à l’État de rouvrir des espaces", estime Sylvie Ollitrault.


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