Publié le 9 mai 2022
Alors que les États-Unis pourraient annuler un arrêt qui protège le droit à l’avortement depuis 1973, les analyses de l’économiste Steven D. Levitt et du journaliste au New York Times Stephen J. Dubner pourraient être ravivées. En effet, dans leur livre "Freakonomics" au succès planétaire, les auteurs bousculent les idées reçues et établissent des liens de cause à effet parfois inattendus. La conclusion la plus retentissante explique en partie la baisse de la criminalité aux États-Unis dans les années 90 par la légalisation de l’avortement vingt ans plus tôt.

Un argument de poids pourrait être avancé pour maintenir la légalisation de l’avortement. Alors que les débats font rage Outre-Atlantique pour défendre ou annuler l’arrêt qui protège le droit à l’avortement depuis 1973, l’une des conclusions du best-seller Freakonomics (publié en 2005 aux États-Unis et 2006 en France) pourrait être de nouveau brandie. Ainsi, l’économiste Steven D. Levitt et le journaliste au New York Times Stephen J. Dubner démontrent l’existence d’un lien entre la légalisation de l’avortement et la baisse de la criminalité constatée aux États-Unis dans les années 1990.
A cette époque, la baisse de la criminalité surprend les experts. Ils l’expliquent alors par les lois plus strictes sur le contrôle des armes à feu, un maintien de l’ordre plus efficace ou encore une amélioration de la situation économique. Mais Steven Levitt et John Donohue avancent une autre explication. Ces derniers constatent un lien avec la légalisation de l’avortement. Ils soulignent que ce sont majoritairement les jeunes hommes entre 18 et 24 ans qui commettent des crimes. Or les données indiquent que les taux de criminalité ont commencé à diminuer en 1992 aux États-Unis puis la tendance s’est accélérée en 1995, soit vingt ans après la légalisation de l’avortement. Les auteurs soulignent par ailleurs que les États qui ont été les premiers à légaliser l’avortement sont aussi ceux qui ont été les premiers à réduire le taux de criminalité.

La légalisation de l’avortement explique la moitié de la baisse des taux de crimes


Selon les auteurs, la possibilité légale de recourir à l’avortement a entraîné une diminution du nombre de naissances d’enfants non désirés ou dont les parents ne peuvent pas les assumer financièrement et qui auraient été plus enclins à commettre un crime. La légalisation de l’avortement aurait ainsi permis à une "génération de criminels en puissance" de ne pas naître, ce qui pourrait expliquer jusqu’à la moitié de la baisse des taux de crimes violents et de crimes contre les biens.
Les découvertes des économistes ont été popularisées par le livre Freakonomics (un néologisme qui pourrait être traduit par économie saugrenue). Considéré comme le livre d’économie le plus lu aux États-Unis, il a renouvelé la perception des sciences économiques en apportant des conclusions inattendues à partir de liens entre des données sociologiques et économiques qui ne sont pas évidents. Le livre édité à près de 4 millions d’exemplaires dans le monde dresse en effet des parallèles étonnants, volontiers provocants, pour mieux comprendre certaines tendances économiques. Les auteurs expliquent notamment pourquoi les agents immobiliers ne vendent pas toujours une maison au meilleur prix ou les raisons qui maintiennent les revendeurs de drogue au domicile de leur mère.

Une hypothèse controversée


Mais le parallèle entre la légalisation de l’avortement et la baisse du taux de criminalité est la conclusion la plus retentissante. L’hypothèse a été controversée. Dès la sortie du livre, la thèse a suscité la polémique auprès des milieux conservateurs qui rejettent le droit à l’avortement et d’autant plus lorsqu’il est mis en avant comme une arme anti-crime. De leur côté, les démocrates déplorent la stigmatisation des mères afro-américaines. Enfin, les travaux ont aussi été critiqués par des économistes en raison de la méthode utilisée, avançant que les mêmes conclusions ne sont pas reproductibles à d’autres pays.
Toutefois, vingt ans après, en 2020, les mêmes auteurs ont reproduit leur modèle en prenant de nouvelles données et ils aboutissent aux mêmes conclusions. "De 1991 à 2014, les taux de crimes violents et de crimes contre les biens ont chacun chuté de 50 %. On estime que la légalisation de l’avortement a réduit les crimes violents de 47 % et les crimes contre les biens de 33 % au cours de cette période, et peut donc expliquer la majeure partie de la baisse observée de la criminalité", soulignent-ils. Ces conclusions pourraient éclairer les débats sur l’avortement qui font de nouveau rage aux États-Unis.  
Mathilde Golla @Mathgolla

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