Un tiers des émissions de la France ! C’est ce que représente l’ensemble des émissions, directes (Scopes 1 et 2) et indirectes (Scope 3), du Crédit Agricole ou encore d’Axa. L’assureur ayant été l’une des premières entreprises à déclarer les émissions financées par ses investissements. Autre exemple avec Total : si l’on prend en compte les émissions globales du pétrolier, avec les émissions dues à la combustion du pétrole vendu, elles dépassent de 40% les émissions de l’Hexagone. La question mérite donc une grande attention.
Le Réseau Action Climat (RAC) s’est ainsi penché sur vingt entreprises françaises (1) présentes à l’échelle internationale. Celles-ci effectuent déjà un reporting carbone, auprès du CDP (ex-Carbon Disclosure Project) et/ou dans le cadre des bilans de gaz à effet de serre réglementaires (Beges) en France. Résultat : toutes les entreprises analysées déclarent au moins une activité (voir graphique ci-dessous) sur le Scope 3 et elles sont de plus en plus nombreuses à le faire sur des postes pertinents. Et pas seulement sur ceux dont les données sont faciles d’accès.
Les déplacements professionnels scrutés
L’analyse des 4 000 bilans d’émissions envoyés au CDP pour l’année 2015 montre ainsi que deux tiers (63%) des répondants publient les émissions d’au moins deux postes du Scope 3, contre seulement… 29% en 2010.
Le poste qui apparaît le plus dans les déclarations du Scope 3 concerne, à 70%, les déplacements professionnels, relativement peu significatifs en termes d’impact climatique. Celui de l’utilisation des produits vendus, le plus pertinent climatiquement, n’est quant à lui reporté que par moins d’une entreprise sur trois.
Parmi les entreprises les plus vertueuses, L’Oréal a élargi son reporting du Scope 3 de 1 à 11 postes, entre 2011 et 2014. Un reporting incluant notamment celui des produits achetés et celui de l’utilisation des produits vendus. Deux postes stratégiques pour la firme cosmétique. Sur la même période, Sanofi a également augmenté le nombre de postes reportés du Scope 3, de 1 à 10, en prenant là aussi en compte les postes les plus pertinents. Ainsi, pour le CDP, le nombre des postes du Scope 3 communiqués est passé en moyenne de 3 à 6.
Par contre, les trois grandes banques françaises analysées – BNPParibas, Crédit Agricole et Société Générale – mettent en place des objectifs de réduction sur les 3 scopes, mais elles ne communiquent pas sur les émissions financées par leurs investissements, poste le plus pertinent dans leur cas. De même, Carrefour ne prend pas en compte les émissions liées aux biens et services achetés.
Prévenir le risque carbone
Certaines entreprises mettent en avant la complexité de reporter sur le Scope 3 et d’obtenir ces données. Elles pointent également du doigt la problématique du double comptage. En effet, la fabrication du béton peut par exemple être comptabilisée à la fois dans le secteur "industrie lourde" et dans le "secteur construction". D’où l’importance, selon Christophe Alliot, de l’association Le Basic, d’adopter peu à peu "une approche coopérative" par filière ou chaîne de valeur.
"Il y a une maturité grandissante des méthodologies, argumente Meike Fink, chargée de mission climat et énergie au RAC et auteure de l’étude. Et une prise de conscience par les entreprises des risques des impacts physiques et financiers liés au changement climatique. Pour anticiper ce risque carbone, l’entreprise doit impliquer ses producteurs, fournisseurs, transporteurs mais aussi envisager de travailler sur le comportement de ses clients quand cela s’avère pertinent."
Chez Pocheco, une usine d’enveloppes devenue figure de proue de l’économie circulaire en France, on est ainsi convaincu de l’intérêt de prendre en compte l’ensemble des émissions. "Les émissions indirectes représentent 90% du bilan carbone de l’entreprise : cela n’aurait pas de sens de ne pas s’y intéresser, commente Kévin Franco, responsable éco-conception de l’entreprise. C’est un moteur de l’action et on note systématiquement des gains environnementaux et économiques."
Un décret moins ambitieux que la pratique ?
Le décret d’application concernant les émissions indirectes (alinéa IV) dans l’article 173 de la loi de transition énergétique doit être publié prochainement. Pour l’instant, l’hypothèse retenue ne concerne qu’un seul poste du Scope 3, à savoir les émissions liées aux produits et services vendus. Pour Meike Fink, c’est "injuste" pour certaines entreprises. Elle juge aussi ce texte moins ambitieux que la pratique actuelle. "Ce décret représente une opportunité politique importante pour parvenir à une obligation du reporting carbone des émissions indirectes des entreprises", plaide la chargée de mission du RAC.
Autre point sur lequel il reste du chemin à parcourir : les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’étude montre en effet qu’une entreprise sur deux se fixe des objectifs uniquement sur les scope 1 et 2. L’ONG propose d’instaurer "un équivalent des contributions climatiques (INDC) pour les multinationales, afin d’avoir une vision globale des réductions de GES prévues par les grands acteurs du secteur privé".
Et de demander aux entreprises de présenter, outre les objectifs de réduction, "une stratégie de réorientation de leurs activités vers des secteurs compatibles avec des trajectoires climatiques ambitieuses".