Au terme de trois semaines de débats intenses autour de l’exploitation minière des fonds marins, au sein de l’Autorité internationale des Fonds marins (AIFM), que peut-on en retenir ? D’abord, aucun feu vert n’a finalement été délivré à l’industrie, mais, il n’y pas eu non plus de discussions sur un moratoire autour de l’exploitation minière. En raison notamment du blocage de la Chine, le sujet de la protection des grands fonds marins n’a pas été mis à l’ordre du jour des négociations officielles la semaine dernière et a été reporté à 2024. Aucun accord donc, mais deux camps qui s’opposent désormais de façon assez claire.
En vertu de la Convention de l’ONU sur le droit de la mer, l’AIFM est à la fois chargée de protéger l’océan en dehors des juridictions nationales, et d’y organiser l’exploration et l’éventuelle exploitation de minéraux très convoités, notamment pour la transition énergétique, en particulier les batteries des véhicules électriques. Depuis dix ans, le Conseil de l’AIFM et ses 36 États membres négocient un code minier pour fixer les règles de cette exploitation. À ce jour, l’organisme n’a encore jamais délivré de permis d’exploitation, mais n’a refusé aucune demande d’exploration, avec 31 licences délivrées.
La France formellement opposée à l’exploitation
La pression est toutefois de plus forte pour passer à l’étape d’après. En 2021, l’État insulaire de Nauru, au nord de l’Australie, a déclenché la clause "des deux ans" qui contraignait l’AIFM à fournir un code minier d’ici juillet 2023. L’archipel entend en effet demander un accord pour exploiter les eaux profondes dans la très convoitée Zone de Clarion-Clipperton (ZCC), au cœur de l’Océan Pacifique. Une zone qui regorge d’une ressource unique : les nodules polymétalliques, contenant entre autres du cobalt, du nickel, du cuivre et du manganèse.
Cette clause est arrivée à échéance le 9 juillet dernier. Mais, le Conseil de l’AIFM, faute d’être parvenu à un accord, a renvoyé à 2025 l’adoption de ce code minier. En parallèle, plus d’une vingtaine de pays, parmi lesquels le Chili, le Costa Rica, la Nouvelle-Zélande, l’Allemagne, la France, ou encore le Vanuatu, rejoints depuis peu par le Brésil ou encore le Canada, réclament une "pause de précaution" ou un moratoire avant la possible extraction de ces minerais afin d’en évaluer toutes les conséquences environnementales.
"Nous ne pouvons pas et nous ne devons pas nous lancer dans une activité industrielle nouvelle alors que nous ne sommes pas encore capables d’en mesurer pleinement les conséquences, et donc de prendre le risque de dommages irréversibles pour nos écosystèmes marins", a déclaré le secrétaire d’État français à la Mer, Hervé Berville qui a fait le déplacement à Kingston, en Jamaïque pour l’Assemblée générale de l’AIFM. "Notre responsabilité est immense et aucun d’entre nous ici dans cette salle ne pourra dire qu’il ignorait l’effondrement de la biodiversité marine, l’élévation du niveau de la mer ou encore l’augmentation brutale de la température des océans", a-t-il lancé.
"Nouveau rapport de force"
Les ONG saluent cette nouvelle dynamique au sein de l’AIFM, jusqu’à présent considéré comme une forteresse des intérêts de l’industrie. "L’Assemblée de l’AIFM n’a jamais été aussi politique avec un nouveau rapport de force qui émerge, analyse pour Novethic François Chartier, chargé de campagne Océan à Greenpeace France. Beaucoup de ministres ont fait le déplacement cette fois-ci. On sent un regain d’intérêt autour de la question environnementale qui est devenue vraiment centrale. Une nouvelle époque s’ouvre pour l’AIFM".
Il déplore toutefois le vide juridique laissé par l’Autorité et dont Nauru compte bien profiter. Le petit État insulaire du Pacifique a assuré qu’il solliciterait "bientôt" un contrat pour Nori (Nauru Ocean Resources), filiale du canadien The Metals Company qui veut récolter des "nodules polymétalliques" dans la zone de fracture de Clarion-Clipperton (ZCC). "Il s’agit maintenant de savoir quand – plutôt que si – la collecte de nodules à l’échelle commerciale commencera", a déclaré le PDG de l’entreprise Gerard Barron dans un tweet.
Malgré tout, "l’ultimatum de Nauru n’a pas marché", a insisté Sofia Tsenikli, du groupement d’ONG Deep Sea Conservation Coalition, se félicitant qu’"une majorité d’États" aient indiqué s’opposer au début de l’extraction tant que les règles ne seront pas en place. "Nous avons deux ans pour aboutir à un consensus pour un moratoire, pas pour finaliser ce code minier. Pour la France, qui a envoyé un ministre à Kingston et qui s’oppose à l’exploitation minière, c’est maintenant que la bataille diplomatique et le travail de conviction commence vraiment", conclut François Chartier.
Concepcion Alvarez avec AFP