Publié le 14 septembre 2024

Des motos Harley Davidson et un pack de bières Budweiser Light détruits à balles réelles… Que se passe-t-il aux Etats-Unis ? Dans sa première chronique pour Novethic, Antoine Poincaré, spécialiste de la transition durable, raconte comment des militants anti-woke ciblent des entreprises ayant une politique “diversité et inclusion”, au point de les faire reculer. Hallucinant !

Au milieu du mois d’août une vidéo sobrement titrée “Harley Davidson est devenu woke, alors j’ai détruit ma moto !!!” est publiée sur Youtube. En quelques jours elle devient virale et dépasse le million de vues. On y voit un homme tirer sur une moto de la marque avec des armes de guerre jusqu’à l’explosion.

L’année dernière c’est le chanteur Kid Rock et ses plus de 20 millions d’albums vendus aux Etats-Unis qui décidait de vider un chargeur sur un pack de bière de la marque Budweiser Light, casquette de Donald Trump sur la tête.

 marque Budweiser Light,

Quelques mois auparavant le gouverneur de Floride Ron de Santis détournait un très célèbre drapeau révolutionnaire américain (le Gadsden flag) en y remplaçant le serpent d’origine par une gazinière avec le message “Ne cherchez pas des noises à la Floride”.

Que se passe-t-il aux Etats-Unis ? Où est l’urgence à détruire à coups d’armes à feu des packs de bières et des motos devenus “woke” pendant qu’on en appelle à l’âme révolutionnaire des pères fondateurs pour protéger les gazinières du wokisme ?

Tout cela est l’objet d’une campagne assez savamment organisée contre les politiques “diversité et inclusion”. Après l’affaire Georges Floyd notamment, les entreprises ont multiplié les initiatives à destination des minorités et notamment la parité homme-femme, la présence d’Africains-Américains et de LGBTQI+ dans les effectifs. Des engagements qui ne sont pas du goût de tout le monde et notamment d’un mouvement “anti woke” qui recouvre très largement le mouvement “anti ESG” mais de manière plus vocale.

Le porte-parole de ce mouvement s’appelle Robby Starbuck. Armé d’un compte X riche de 600 000 abonnés (et en augmentation rapide) il dénonce des entreprises devenues trop woke à son goût en organisant des boycotts.

robbie starbuck

Parmi les faits reprochés à Harley Davidson on trouve par exemple : un e-learning de sensibilisation sur l’inclusion des personnes LGBTQI+ ou d’avoir organisé un “mois de l’inclusion” en Février. Le bon classement de la marque dans un classement “Corporate Equality Index”, normalement mis en avant, lui est même reproché par l’influenceur dans une inversion de valeurs assez inattendue.

Trop inclusive, trop égalitaire, trop généreuse vis-à-vis des minorités, ces marques auraient oublié, d’après Starbuck et ses followers, qui sont leurs “vrais clients” et il se charge de leur rappeler. On pourrait en rire si de nombreuses marques n’avaient pas réagi du tac au tac en retirant leurs politiques d’inclusion et leurs soutiens aux ONG. Harley Davidson les a abandonnés après quelques jours de campagne, Ford avait capitulé dès 2023, Tractor Supply – une très grosse enseigne de matériel agricole – en a aussi profité pour retirer en même temps ses engagements carbone, jetés avec l’eau du bain woke. Signe de la réactivité du monde des affaires Jack Daniel’s a même annulé tous ses engagements de manière anticipée, sans qu’on ne lui demande rien donc, et l’a fait savoir. Robby Starbuck se réjouit sur X, puisque c’est une des entreprises qu’il avait prévu de dénoncer.

Cette affaire de boycott paraît déjà invraisemblable vu d’Europe mais ça ne s’arrête pas là car les politiques de premier plan s’en mêlent. Les députés Républicains de la chambre basse ont rédigé une série de lois aux noms évocateurs : Hands off our home appliances, Refridgirator Freedom ou encore Liberty in Laundry. Un texte sur les trois a été adopté en première lecture même si le Sénat démocrate l’a ensuite bloqué.

De quoi faut-il donc libérer nos grilles pains, nos réfrigérateurs et nos lave-linges ? Et bien d’une loi américaine vieille de plus de 30 ans qui fixe régulièrement des objectifs d’efficacité énergétique pour les fabricants l’électroménager. Des mesures peu polémiques qui aident les ménages à faire des économies d’énergie et les émissions de CO2 à baisser.

Mais pour ses opposants la racine du mal est la même : les entreprises ne devraient pas avoir à s’occuper d’autres choses que de faire du business. Pas d’inclusion, pas de diversité, pas de contraintes environnementales. Si on écoute Robby Starbuck et ses followers il faudrait rendre ces objets à l’état de nature. Une dérégulation que certaines entreprises ne voient pas d’un si mauvais oeil puisque moins de contrainte sur la production peut signifier à court terme plus de profits. La riposte s’organise bien sur avec notamment des groupes pro-minorités qui menacent les marques de “contre boycott” mais pour l’instant ils ne font pas le poids.

Si tout ça paraît fou c’est que ca l’est ! Mais attention à ne pas croire que tout ca ne peut avoir lieu qu’aux Etats-Unis. En France un “Observatoire du Wokisme” a été créé et a publié un index du wokisme en entreprise. Une publication confidentielle mais reprise avec le plus grand sérieux dans une tribune sur le site du Figaro le 3 Septembre qui déclare que “certaines entreprises n’y sont pas allées avec le dos de la cuillère” puisqu’elles auraient décidé de “sensibiliser l’ensemble des salariés aux stéréotypes et biais inconscients”. A ce rythme-là, combien de temps avant qu’une R5, un grille-pain SEB ou une bouteille de Bordeaux soient accusés de wokisme eux aussi ?

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