Publié le 04 juin 2023

GOUVERNANCE D'ENTREPRISE

Paradis fiscaux, secret bancaire… l’histoire rocambolesque de 15 ans de bataille contre la fraude

Il est le chef d’orchestre de la lutte internationale contre la fraude et l'optimisation fiscales. Pascal Saint-Amans, ancien directeur du centre des politiques fiscales de l’OCDE, raconte dans un livre les multiples rebondissements qui ont jalonné la réforme de la fiscalité internationale. Intitulé "Paradis fiscaux, comment on a changé le cours de l’histoire", il se lit comme un polar !

Pascal Saint Amans OCDE fiscalite Patricia De Melo Moreira AFP
Pascal Saint-Amans, ancien directeur du centre des politiques fiscales de l'OCDE, a contribué à faire évoluer le cadre fiscal international pour lutter contre l'évitement de l'impôt.
@Patricia de Melo Moreira / AFP

Fin du secret bancaire, la lutte contre les paradis fiscaux et l’optimisation fiscale… Des sujets techniques que vous racontez* comme un polar. C’est exprès ?

J’ai effectivement essayé d’écrire le livre comme un polar pour montrer que ce qui semble très compliqué à première vue, ne l’est pas. L’histoire est rocambolesque, avec des rebondissements et des anecdotes !

Ma conviction, c’est que pour changer les choses, il faut les rendre politiques. C’est pour cela qu’à l’OCDE, nous faisions en sorte d’écrire des rapports que tout le monde puisse comprendre, aussi bien les dirigeants et dirigeantes politiques, que les journalistes, en exprimant de manière simple des réalités complexes.

Qu’est-ce qui a permis aux États de s’accorder sur la lutte contre l’évasion fiscale ?

La crise a entraîné un véritable changement de la nature dont on appréhendait la fiscalité. Les personnes les plus riches et les grandes multinationales profitaient des failles dans le système pour ne pas payer d’impôt. Ces failles étaient dues aux règles très anciennes qui régissaient la fiscalité internationale, mais qui sont devenues caduques avec la mondialisation de l’économie.

Après la crise financière, les États se sont donc dit qu’il fallait changer ces règles. Mais cela ne se fait pas du jour au lendemain. Un premier scandale, celui du Liechtenstein en février 2008 alors que se profile la crise des subprimes, va mobiliser les politiques. Je raconte dans le livre que se tient une réunion à Paris sur les enjeux fiscaux à laquelle, pour la première fois depuis les années 90, les ministres décident d’assister et de lancer une dynamique pour traiter le sujet.

Les États espéraient restaurer les finances publiques ?

Il y a en fait deux motivations qui les animent. Le besoin de récupérer de l’argent, bien sûr, mais aussi celui de montrer aux populations frappées par la crise financière qu’ils ne laissent plus passer des choses aussi intolérables que l’évitement fiscal. Les gouvernements ont dû mettre sur la table des milliards de dollars pour aider les banques, alors que ces mêmes banques aidaient des personnes très riches à éviter de payer des impôts.

Ils ont donc d’abord voulu mettre fin au secret bancaire. Puis en 2012, après que Nicolas Sarkozy, alors président de la République, a dit que le secret bancaire n’existait plus, les gouvernements ont décidé de s’attaquer à la taxation des multinationales. On a voulu rendre illégaux des montages qui, jusqu’alors, étaient conformes aux lois mais pas à l’esprit de ces lois.

C’est un travail plus difficile ?

Oui, car les règles de la fiscalité internationales dataient d’il y a un siècle. Il fallait que tous les États soient d’accord pour les changer, alors qu’ils ont tous des intérêts divergents. Et il fallait que cela se fasse en peu de temps parce que l’heure était vraiment grave. La crise financière a entraîné une crise des finances publiques, qui s’est transformée en une crise sociale, avec une augmentation des inégalités et une montée des populismes. Les citoyens de chacun des pays regardent de près la question de la justice fiscale.

Quels ont été les principaux freins à l’élaboration de ces nouvelles règles ?

Ils ont été de deux natures. D’abord les pays eux-mêmes : s’ils bougeaient, ils craignaient de tout perdre au profit de ceux qui ne feraient rien. L’autre difficulté pour eux, c’est qu’une multinationale peu taxée est plus compétitive à l’étranger ; changer la règle revient donc à mettre leurs entreprises en difficulté. Donc ni les paradis fiscaux, pour des raisons évidentes, ni les grands pays qui se font concurrence, ne veulent a priori changer les règles.

L’autre frein vient du lobbying des entreprises et des banques, qui tenaient à leurs schémas fiscaux. Il a fallu lutter en partenariat avec les États pour en venir à bout.

Que répondez-vous à ceux qui estiment que les nouvelles règles fiscales ne vont pas assez loin ?

Les travaux menés par l’OCDE ont abouti à la fin du secret bancaire et à une taxation minimale de 15% des multinationales, ce qui met fin à la concurrence fiscale entre les pays. Je pense que cela participe du retour du politique dans la question fiscale et au fait que les populations n’ont pas perdu leur souveraineté.

Je comprends les critiques, mais il ne faut pas faire comme si un taux d’imposition minimal de 15% ne servait à rien. C’est un déni de réalité ! Personne ne pensait que l’on arriverait à ce taux-là. Le monde est aujourd’hui très différent. Hier, la fraude et l’évasion fiscale des multinationales et des personnes très riches n’était qu’un jeu d’enfants. Aujourd’hui, cela existe toujours mais c’est beaucoup plus compliqué et cela oblige à passer par des réseaux criminels. La fraude en col blanc n’existe plus.

Les administrations fiscales sont désormais bien mieux équipées pour y faire face. Avec la fin du secret bancaire, plus de 500 000 personnes ont spontanément déclaré des comptes cachés à l’étranger, de peur de se faire rattraper. Les États ont pu récupérer 104 milliards de dollars d’impôts. La Suisse a envoyé plus de 3 millions de comptes bancaires à d’autre pays. Ce sont des faits.

Est-ce la fin de l’histoire ?

Il reste encore des règles à traduire dans les droits nationaux, mais le changement de cadre est fait. Mais à plus long terme, il reste des questions à aborder en ce qui concerne la fiscalité des plus riches. L’autre sujet important est celui du changement climatique et du rôle de la fiscalité dans la fixation d’un prix du carbone. C’est un sujet très compliqué politiquement, mais qui doit être abordé.

Arnaud Dumas

*"Paradis fiscaux : comment on a changé le cours de l’histoire", Pascal Saint-Amans, éditions Seuil, mai 2023.


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