Publié le 28 août 2023
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
#MeToo du football : le vieux monde détrôné par les championnes espagnoles
Une standing-ovation pour le président de la fédération espagnole de football, Luis Rubiales, accusé d'agression sexuelle. Voilà la scène qui résume le vieux monde que combattent les nouvelles championnes du monde de football depuis que leur capitaine a été embrassée de force. Si la tâche est ardue, l'écho est si puissant qu'il fait trembler la planète foot.

EIDAN RUBIO / RFEF / AFP
Les joueuses espagnoles sont en train d’écrire l’histoire du football féminin, et pas seulement parce qu’elles ont gagné le championnat du monde. On pourrait même dire qu’elles réalisent un doublé : gagner un titre inaccessible jusqu’ici pour elles, et faire tomber un vieux monde qui s’accroche au pouvoir. Ce vieux monde porte en ce moment le nom de Luis Rubiales, président de la Fédération espagnole de football (RFEF). Celui-ci a réussi l’exploit de gâcher l’euphorie de la remise des médailles en embrassant sur la bouche et sans son consentement la capitaine de l'équipe Jennifer Hermoso.
En une semaine, nous avons assisté, médusés, au meilleur et au pire de l’histoire du football. Le pire : un homme accusé d’agression sexuelle et pourtant ovationné lors de l’assemblée générale extraordinaire de la RFEF. Dénonçant un "faux féminisme" qui "ne cherche pas la vérité", pointant une "tentative d’assassinat social", Rubiales accuse Hermoso d’être une "menteuse" et termine sa longue diatribe par : "Mon Dieu, que vont penser les femmes qui ont vraiment subi des agressions sexuelles". Technique classique de détournement, qui consiste à choisir ce qu’est une agression sexuelle. En l’occurrence, son geste relève selon la loi espagnole d’un tel délit.
Pire encore, le soutien qu’il reçoit de la Fédération espagnole. Selon So Foot, celle-ci aurait menacé le gouvernent espagnol de quitter l’UEFA, institution du football européen, si Luis Rubiales était démis de ses fonctions. La répercussion serait telle que les clubs espagnols se trouveraient exclus des coupes d’Europe. C’est dire le mur auquel s’attaquent les joueuses espagnoles. Mais comme en finale, elles n’ont rien lâché.
Démission de l'équipe
Vendredi 25 août, les 23 joueuses ont annoncé qu’elles refuseraient de rejouer avec la Roja si "les dirigeants actuels étaient maintenus". "Je me suis sentie vulnérable et victime d’une agression, d’un acte impulsif et sexiste déplacé et sans aucun consentement de ma part", a déclaré Jennifer Hermoso.
Comunicado Oficial. Agosto 25, 2023. pic.twitter.com/4OqhqwwJ8P
— Jenn1 Hermos0 (@Jennihermoso) August 25, 2023
Le lendemain, samedi 26 août, ce sont six membres du staff de l’équipe qui présentent leur démission exprimant leur "condamnation ferme et catégorique du comportement de Luis Rubiales". Partout dans le monde, la solidarité et le combat des joueuses contre les violences sexuelles trouvent un écho. La superstar du football féminin, l’américaine Megan Rapinoe, leur a apporté son soutien alors que sa coéquipière Alex Morgan dénonce dans un tweet : "Gagner une coupe du monde devrait être l’un des meilleurs moments de la vie de ces joueuses, mais il est éclipsé par les agressions, la misogynie et les échecs de la fédération espagnole".
I'm disgusted by the public actions of Luis Rubiales. I stand by @Jennihermoso and the Spanish players. Winning a World Cup should be one of the best moments in these players' lives but instead it's overshadowed by assault, misogyny, and failures by the Spanish federation.
— Alex Morgan (@alexmorgan13) August 25, 2023
Plusieurs membres du gouvernement ont également apporté leur soutien à la joueuse et réclamé la démission du président de la Fédération.
Enquête et suspension
Finalement, c’est de la Fédération internationale du football (Fifa) qu’est venue la sanction. La Fifa a ainsi décidé le 26 août de suspendre provisoirement Rubiales "de toute activité liée au football au niveau national et international". L’institution organisatrice du Mondial précise que cette suspension durera au moins 90 jours. Ce lundi 28 août, le Parquet espagnol a ouvert une enquête préliminaire pour "agression sexuelle" présumée.
La partie n’est pas encore terminée. Mais les championnes du monde ont ouvert une brèche inédite. Le contexte ne leur était pourtant pas favorable. En 2022, elles avaient dénoncé les agissements de leur sélectionneur, Jorge Vilda, accusé de manquer de professionnalisme. Plusieurs stars du FC Barcelone ont ainsi boycotté la Coupe du monde. Mais Jorge Vilda avait un soutien de taille : Luis Rubiales en personne. "Tant qu’il y aura des filles qui voudront porter le maillot de l’équipe nationale, il y aura une équipe nationale", avait déclaré Rubiales.
Finalement, Jorge Vilda lui-même a lâché son président. Dans un communiqué, il écrit regretter "profondément que la victoire du football féminin espagnol ait été compromise par le comportement inapproprié de Luis Rubiales, qu’il a lui-même reconnu". Un retournement de veste magistral qui montre que le pouvoir a changé de côté.