Publié le 18 février 2021
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Danone : le grand écart entre "raison d’être" et "réussite économique" coûte cher au PDG Emmanuel Faber
La chasse au PDG emblématique de Danone Emmanuel Faber est ouverte par ses actionnaires et les fonds activistes inquiétés par les mauvais résultats financiers de l’entreprise. Ils demandent son départ lançant ainsi une énième bataille médiatisée entre profits à court terme et stratégie basée sur une raison d’être nourrie d’alimentation saine et durable. Mais surtout, c’est la gouvernance d’une entreprise de plus de 100 000 personnes par un homme isolé qui est remise en question.

@PatrickKovaril/AFP
Trois fonds d’investissement américains, gros actionnaires de Danone, ont demandé publiquement non seulement le départ de son emblématique PDG Emmanuel Faber mais aussi la séparation des fonctions de Président et de Directeur général. 2020 est une bien mauvaise année pour Danone qui a perdu un quart de sa valeur boursière en un an. Plus grave l’icône française a eu une trajectoire très différente de celle de ses deux principaux concurrents : Nestlé et Unilever. +2,7 % pour la Française, +45 % pour le groupe suisse, +75 % pour le Néerlandais sur la période qui va de 2014, date d’accession au pouvoir suprême d’Emmanuel Faber, à 2020.
Longtemps considéré comme leader naturel de l’alimentation durable avantagée par sa gamme de produits sains (eau et yahourts) face aux géants de la junk food, Danone traine aujourd’hui un boulet pour légitimer sa stratégie durable : l’eau en bouteille ! Secteur sinistré par les mesures sanitaires contre l’épidémie de COVID, les bouteilles en plastique sont aussi devenues le symbole d’une pollution majeure. Danone, qui estime la perte de ses ventes à 1 milliard d’euros pour 2020, n’est pas forcément mieux lotie avec ses produits laitiers. Comme le résume l’analyste financier Bruno Monteyne sur Zone Bourse : "De toute façon, le marché des protéines animales et des eaux en bouteille ne fait plus rêver grand monde, le premier parce qu'il est en perte de vitesse chez les consommateurs et le second parce qu'il pose des défis environnementaux complexes".
Changement de modèle
Ce constat a amené les fonds activistes à demander : "Un changement urgent pour éviter un dommage permanent aux marques emblématiques du groupe et à sa position de marché". La publication de leur lettre a sans doute été déclenchée par l’impuissance à convaincre Emmanuel Faber de revoir sa stratégie qu’il veut désormais plus locale et basée sur une gamme de produits moins variés puisque 20 % des références doivent être supprimées dans les mois à venir. Est-il effectivement nécessaire d’avoir tous les parfums de la gamme Activia quand les consommateurs se mettent à refaire leurs propres yahourts ?
Un premier signal d’alerte sur la gouvernance a été déclenché par le vrai faux départ de la numéro deux du groupe en novembre 2020. La directrice financière Cecile Cabanis, présentée comme possible remplaçante d’Emmanuel Faber, a quitté ses fonctions mais continue à siéger au conseil d’administration. Isolé, le PDG peine à rassembler les soutiens publics. Il a reçu celui des syndicats et plus particulièrement de Laurent Berger de la CFDT mais sa volonté de continuer à cumuler les deux fonctions sème le doute.
Modèle de gouvernance
C’est ainsi que Phitrust, champion français de l’engagement actionnarial, a publié un communiqué ambigu le 16 février. D’un côté il soulignait avoir toujours rappelé à Danone "l’importance de séparer les fonctions de direction pour des raisons d’équilibre et de répartition claire des pouvoirs". De l’autre, il rappelait que "la vision stratégique proposée par le Conseil d’administration de Danone, et validée par la très grande majorité des actionnaires, est pionnière depuis de très nombreuses années et vise à réconcilier l’entreprise avec les enjeux sociaux et environnementaux des territoires dans lesquels le groupe intervient".
Et si finalement le problème central était bien la fonction de PDG et l’idée qu’un homme, doté de qualités exceptionnelles soit capable d’affronter seul toutes les tempêtes, d’avoir raison contre tous puisqu’il est le capitaine éclairé du navire qui prend l’eau ? Emmanuel Faber, figure du moine soldat, est l’anti modèle d’un Carlos Ghosn, roi soleil du secteur auto, mais ils ont en commun cette posture d’homme providentiel. Dans le premier cas, elle pourrait lui valoir une éjection brutale. Dans le second, elle a abouti à la chute la plus spectaculaire d’un grand patron français !
Anne-Catherine Husson-Traore, @AC_HT, Directrice générale de Novethic