Publié le 03 juin 2023
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Sécheresse, artificialisation... La boulangerie industrielle Bridor n'a pas résisté à l'urgence climatique
Le groupe agroalimentaire breton Le Duff a annoncé ce mardi 30 mai l’abandon de son projet d’usine de boulangerie Bridor à Liffré, non loin de Rennes. La raison ? Son impact environnemental. L'usine, très consommatrice d'eau en pleine sécheresse, artificialiserait par ailleurs 21 hectares de bocages et de zones humides.

Wirestock / iStock
Clap de fin d’un long feuilleton. Coincé dans les cartons depuis bientôt six ans, le projet d’usine de boulangerie Bridor à Liffré, entre Rennes et Fougères, ne verra finalement pas le jour. Le 30 mai dernier, le groupe agroalimentaire Le Duff, leader des viennoiseries industrielles, a jeté l’éponge, les recours en justice ayant eu raison de sa construction et de ses 500 emplois à la clef.
Le projet fait l’objet de plusieurs recours déposés devant le tribunal administratif de Rennes par des opposants (associations, partis ou syndicats), retardant sine die la construction du site et sa mise en service. Pour le président fondateur du groupe Le Duff, "nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre 10 ans, voire certainement davantage, pour que notre projet aboutisse lorsque nos concurrents à l’étranger mettent 1 à 2 ans maximum pour obtenir les mêmes autorisations de construction."
Evoqué pour la première fois en 2017, et poussé par certains élus locaux, dont le président de région Loïg Chesnais-Girard, ce projet de construction d’une usine de fabrication de pains et de viennoiseries aurait dû sortir de terre dès 2020. Toutefois, le groupe Le Duff, maison-mère de Bridor, avait dû revoir sa copie à de multiples reprises afin d’obtenir le feu vert de l’Etat, finalement accordé en juillet 2022.
Pas de pitié pour les croissants
Depuis son annonce publique en 2019, ce projet ne fait pas l’unanimité. Habitants, associations, syndicats ou encore élus locaux ont régulièrement manifesté leur désaccord et dénoncé plus particulièrement l’impact environnemental qu’aurait eu l’installation de cette usine de 60 000 m2 sur 21 hectares de bocages et de zones humides.
Au-delà de la question de l’artificialisation de ces terres agricoles, les élus et les associations s’inquiétaient de la trop grande consommation en eau potable d’une telle infrastructure : entre 150 000 et 200 000 m3 d’eau par an, soit l’équivalent de la consommation d'environ 1 600 ménages, selon les données de l'Insee. Et ce, alors que la Bretagne n’est pas non plus épargnée par la sécheresse qui frappe une large partie du pays. La mobilisation citoyenne a d’ailleurs connu un regain d’intérêt après l’été 2022, où la région a été la cible d’incendies et de restrictions d’eau.
Alors l’annonce de l’abandon du projet mardi dernier a été à la fois une surprise et un soulagement pour les opposants au projet. "On l’espérait, explique Philippe Rocher, membre du collectif Colère (Comité local pour l’environnement et la résilience écologique à Liffré-Cormier) auprès de Novethic, mais on pensait qu’il allait arriver plus tard, après l’audience au tribunal sur l’autorisation environnementale". Pour lui, ce projet "était à l’image de ce qu’il ne faut plus faire aujourd’hui : produire et exporter à l’international des tonnes de viennoiseries surgelées. Est-ce là la priorité face aux défis climatiques qui nous attendent ?"
500 emplois à la clé
Pour le sénateur écologiste d’Ille-et-Vilaine, Daniel Salmon, "ce projet avait tort environnementalement et économiquement". "Rien ne justifiait la construction de cette nouvelle usine, même pas l’argument de la création de 500 emplois, alors que nous sommes dans un bassin déjà en situation de plein-emploi". En effet, le taux de chômage à Liffré et ses alentours est de 5,4%, et de nombreux emplois dans l’agroalimentaire ne sont pas pourvus, faute de main-d’œuvre.
Un avis que ne partage pas la région Bretagne. "Ce projet répondait à un objectif d’emplois sur le territoire, assure la vice-présidente de la région chargée de l'économie, des territoires et de l'habitat, Laurence Fortin à Novethic, nous sommes sur un territoire croissant en termes de population. Et bien que nous sommes en situation de plein-emploi, nous sommes aussi en situation d’accueil de nouveaux habitants, avec des besoins d’emploi". "Nous devons donc avoir des emplois à proximité, et c’est ce qu’offrait le projet Bridor".
Un terrain à l'avenir toujours incertain
Un vide qu’il faudra donc combler Et les élus sont déjà à pied d'oeuvre, comme l'assure le président de la Région Loïg Chesnais-Girard dans un communiqué publié sur Twitter.
Sur le projet @Bridor_FR à Liffré. Ma première pensée va à toutes ces familles qui je le sais, portaient beaucoup d’espoirs sur les centaines d'emplois d'ouvriers et de techniciens, non délocalisables, que devait créer cette usine. pic.twitter.com/tqejiGENJN
— Loïg Chesnais-Girard (@LoigCG) May 30, 2023
Et cela inquiète "nature en ville", l'une des associations qui avait déposé un recours. "Ces derniers ne tirent donc aucune leçon de ce que se joue en moment ?", s’interroge son militant Pascal Branchu, qui attend désormais les arrêtés de retrait de Liffré avec la modification du PLU (plan local d'urbanisme) et du permis de construire, ainsi que celui du préfet. Et pour cause. "Ce terrain sera de toute façon urbanisé, nous confirme la vice-président de région Laurence Fortin, ces hectares ont une vocation économique selon les documents d’urbanisation et ce n’est pas la loi climat et résilience qui va changer la chose."
Toutefois, le retrait de ce projet Bridor en Bretagne est inédit, et symboliquement fort, à l’heure où le secteur de l’agroalimentaire est régulièrement critiqué. "L’abandon de ce projet doit nous pousser à repenser notre modèle, le but n’étant pas de détruire des emplois au profit de l’environnement mais bien d’en créer en parallèle de sa préservation", insiste le sénateur écologiste Daniel Salmon. "Il faut surtout accepter que tout ne peut pas se faire en un instant, insiste la vice-présidente Laurence Fortin, et j'affirme que la région et les entreprises bretonnes sont déjà pleinement engagées dans la transition écologique."
Dans l’attente de connaître l’avenir qui sera réservé au terrain, désormais libre de tout engagement, les anti-Bridor se sont déjà donnés rendez-vous le 10 juin prochain sur place pour ne pas relâcher la pression sur les autorités et trouver une solution désirable pour ces hectares de bocage.