Publié le 11 mars 2019

FINANCE DURABLE

En excluant le pétrole, le fonds norvégien entérine le principe du risque climatique pesant sur les marchés financiers

Quelque 134 entreprises du secteur de l’exploration et de la production de pétrole et gaz seront persona non grata dans le fonds souverain norvégien. Le ministère des Finances, sa tutelle, vient de prendre la décision d’une exclusion progressive de ce secteur du portefeuille du fonds. Et ajoute une mission pour le gestionnaire, qui devra renforcer la surveillance du risque climatique sur les autres participations du fonds. Un signal fort pour toute la communauté financière.

Le secteur pétrole et gaz retenait son souffle depuis quelques mois. En novembre 2017, le fonds souverain norvégien aux 1 000 milliards de dollars d’actifs sous gestion avait soumis l’idée de sortir de ce secteur, dont il tire pourtant toute sa richesse. Vendredi 8 mars, après plusieurs mois de réflexion et la réunion d’un comité d’experts, Siv Jensen, la ministre des Finances norvégienne, a fini par se ranger derrière l’analyse des dirigeants du Government pension fund global (GPFG) et de la banque de Norvège. Celui-ci devra sortir du capital des entreprises exploratrices et productrices de pétrole et de gaz, dès que le Storting, le parlement norvégien, aura voté la mesure.

"L’objectif est de réduire la vulnérabilité de notre richesse commune face à un recul permanent du prix du pétrole", explique la ministre des Finances. L’industrie pétrolière demeurera l’une des sources importantes des revenus de l’État, la Norvège étant le plus gros producteur d'hydrocarbures d'Europe de l'Ouest. Le gouvernement a d'ailleurs réaffirmé son intention de demeurer présent au capital d'Equinor (ex-Statoil), la compagnie pétrolière locale. C'est pourquoi le fonds a justement pour mission de diversifier les sources de revenus.

Une exclusion très ciblée

Le ministère des Finances ne procède pas pour autant à une coupe à la hache dans le secteur des énergies fossiles. Le GPFG devra exclure uniquement les entreprises spécialisées dans l’exploration et la production pétrolière et gazière, en se basant sur la classification établie par le fournisseur d’indices boursiers FTSE Russel. Cette exclusion se fera de manière graduelle, en consultation avec la banque centrale norvégienne.

Les autres entreprises du secteur énergie de FTSE Russell, à savoir les compagnies pétrolières et gazières intégrées, les entreprises de services pétroliers et les sociétés spécialisées dans les énergies renouvelables ne sont pas concernées. Le champ d’exclusion comprend en tout 134 entreprises, sur les 300 du secteur énergie, pour une valeur de 7 milliards d’euros d’actifs. Une seule société française fait partie du panel, l'opérateur pétrolier Maurel et Prom, à laquelle le GPFG n'est pas exposé.

La raison, pour le gouvernement norvégien, tient justement aux énergies renouvelables. Selon le rapport transmis par le ministère des Finances au Storting, le parlement norvégien, "les entreprises dont les énergies renouvelables ne constituent pas l’activité principale représenteront près de 90 % de la croissance des infrastructures d’énergies renouvelables cotées d’ici 2030. Si le secteur de l’énergie en entier est exclu, ou si le GPFG n’investit que dans les spécialistes des énergies renouvelables, cela peut limiter la capacité du fonds à bénéficier de cette croissance."

Une alerte rouge pour les autres investisseurs

Le fonds norvégien continuera donc d’investir en partie dans les énergies fossiles. Une société comme le Français Total (dont le GPFG détient 2,02 % du capital) ne fait ainsi pas partie de son champ d’exclusion. Mais l’annonce demeure majeure. Vu sa taille (il détient 1,4 % de la capitalisation boursière mondiale) et vu son expertise en investissement responsable, les moindres décisions du fonds norvégien sont observées à la loupe par le reste de la communauté financière. Il avait notamment été l’un des premiers, et sans doute le plus emblématique, à choisir de ne plus investir dans le charbon juste avant la COP 21 en 2015. Depuis, de nombreux autres investisseurs institutionnels lui ont emboîté le pas.

"La décision devrait être perçue comme une alerte rouge pour les banques privées et les investisseurs dont les actifs pétroliers et gaziers deviennent de plus en plus risqués et moralement intenables", assure ainsi Yossi Cadan, responsable "désinvestissement" de l’ONG 350.org. D’autant que l’avis du ministère des Finances comporte également un volet "climat". La Norges Bank, la banque centrale opératrice du fonds, est chargée de passer en revue le risque climat pour toutes les entreprises du portefeuille. Avec une mission claire : le gestionnaire du fonds doit renforcer ses relations avec les entreprises les plus exposées à ce risque.

Arnaud Dumas @ADumas5


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