Publié le 04 juin 2015
ENVIRONNEMENT
Climat : l’OCDE plaide pour plus de cohérence dans les politiques publiques
Alors que l’attention se focalise sur le prix du carbone pour orienter les financements vers une économie bas carbone, il ne faut pas envoyer de signaux contradictoires par le biais de réglementations ou de politiques fiscales pouvant favoriser les émissions de gaz à effet de serre. C’est ce que pointe l’OCDE avec l’Agence internationale de l’énergie, l’Agence de l’énergie nucléaire et le Forum international des transports. Ces trois instances viennent de publier le premier jet d’un rapport à paraître en juillet : "Aligner les politiques pour une économie bas carbone".

Carsten Koal AFP
"Pendant que les gouvernements travaillent à fixer un prix du carbone, est-ce qu’ils ne continuent pas, par mégarde, à entraver les objectifs de la politique climatique en envoyant des signaux contraires ?" C’est la question à laquelle ont tenté de répondre les experts de l’OCDE (l'Organisation de Coopération et de Développement Économique) avec l’Agence internationale de l’énergie, l’Agence de l’énergie nucléaire et le Forum international des transports dans leur rapport "Aligner les politiques pour une économie bas carbone". Leur conclusion est claire : selon Richard Baron, coordinateur du rapport, c’est effectivement le cas.
Des subventions aux énergies fossiles aux taxes foncières sous-évaluées, en passant par des prix de l’essence ou du gazole qui ne reflètent pas l’intégralité des coûts pour la collectivité… Voilà autant de mauvais signaux qui freinent la baisse des émissions de CO2, estiment les auteurs du rapport. Or, si l’on continue sur cette trajectoire, la température moyenne à la surface du globe risque d’augmenter de plus de 4°C à la fin du siècle. Une catastrophe écologique et humaine.
Pour contrer ce mauvais scénario, il faut donc que les Etats changent les orientations de leurs politiques publiques dans plusieurs domaines, estiment les auteurs du rapport.
Repenser les politiques publiques
- Finance et investissements. Aujourd’hui, les deux tiers des investissements énergétiques se font dans les énergies fossiles. Or, certains cadres règlementaires nuisent à une réorientation de ces investissements vers des projets d’énergies renouvelables. C’est le cas des règles de stabilité financière issues de Bâle III : "Les contraintes qu’elles font peser sur les banques semblent être une limite pour ces dernières dans l'octroi de prêts à long terme", note Richard Baron. "Attention, cela ne veut pas dire qu’il faut supprimer les règles prudentielles, mais qu’il faut mieux accompagner les banques dans ce type de financement", précise Virginie Marchal, l’une des auteurs du rapport.
Autre piste : accroître la transparence et l’harmonisation des informations diffusées par les entreprises sur les risques et les responsabilités climatiques. C’est notamment ce que va faire la France, avec l’adoption de sa loi de programmation sur la transition énergétique.
- Fiscalité. Les investissements privés dans le charbon, le pétrole ou le gaz, continuent de bénéficier d'aides publiques à hauteur de 50 à 82 milliards d'euros par an pour les seuls 34 pays de l'OCDE. Les avantages fiscaux accordés aux véhicules de société (près d’un quart de la flotte automobile de l'OCDE) et aux frais de déplacement est aujourd’hui de l’ordre de 19 à 33 milliards d'euros par an. Or ces véhicules sont souvent plus polluants et plus utilisés que les véhicules personnels, ce qui favorise les émissions de CO2. Par ailleurs, en dehors des transports, les combustibles utilisés pour le chauffage et la production d'électricité sont très peu taxés en fonction de leur teneur en carbone.
Pourtant, il est "possible, sinon facile, d’engager des réformes dans ce domaine : depuis 2013, l’Indonésie a augmenté le prix du gazole et de l’essence respectivement de 67% et 89% en réduisant les subventions dont ils bénéficiaient", précisent les auteurs. Le faible niveau actuel des prix du pétrole peut faciliter la tâche des gouvernements, ajoutent-ils.
- Innovation. La part des dépenses de recherche et développement liées à l’énergie a baissé de 11 à 4% entre 1980 et 2012 dans les 29 pays membres de l’AIE (Agence Internationale de l'Energie). Or, compte tenu du rôle joué par le secteur de l’énergie dans la transition bas carbone, cette tendance est problématique, déplorent les auteurs.
Ils invitent notamment les États et collectivités à utiliser les politiques de marché publics (16% du PIB dans les pays de l’OCDE) pour favoriser l’innovation bas carbone. Ils demandent aussi aux États de dresser l’inventaire des obstacles réglementaires à l’innovation, relative à l’efficacité des ressources et à la réduction des émissions de CO2.
- Échanges internationaux. Les émissions de gaz à effet de serre du transport international de marchandises pourraient augmenter de 290% à horizon 2050. Les transports aérien et maritime représentent plus de 40% d’entre elles. Or souvent, le carburant qui leur est destiné n’est pas pris en compte dans les grandes politiques climatiques des pays, et l’approbation de mesures de réduction au niveau international prend du temps.
Les auteurs du rapport appellent donc à la poursuite des efforts au niveau multilatéral, dans le cadre de l’organisation maritime internationale (qui a adopté des normes d’efficacité énergétiques) et l’organisation de l’aviation civile internationale (qui envisage de s’entendre en 2016 sur un mécanisme de marché mondial pour la tarification des émissions des carburants).
- Électricité. Les actuels marchés de gros de l’électricité dans nombre pays de l’OCDE n’émettent pas les signaux prix à long terme dont les investisseurs ont besoin pour décider d’investir dans des technologies bas carbone aux coûts en capital élevé.
Le marché doit donc être réorganisé et un prix du CO2 robuste fixé.
- Mobilité. Les transports sont à l’origine d’environ 23 % des émissions mondiales de CO2. Et c'est dans ce secteur que l'augmentation de ces émissions est la plus rapide. Sans action de la part des gouvernements, elles pourraient doubler d'ici 2050.
Les auteurs du rapport estiment donc urgent de repenser la mobilité urbaine, notamment en favorisant la coordination entre les différentes administrations responsables des transports en commun au niveau des grandes agglomérations. Plus largement, il s'agit de mettre en place des stratégies d'urbanisme optimisant l'espace et prenant en compte les coûts environnementaux, le bien-être et les impératifs de développement économique.
- Utilisation des terres. L’utilisation des terres (essentiellement agriculture et exploitation forestière) est responsable de 25% des émissions mondiales de GES d’origine anthropique. Or, les subventions les plus préjudiciables à l’environnement (engrais azotés et énergies fossiles notamment) comptent encore pour près de 50% de la totalité des subventions agricoles entre 2010 et 2012.
Il s’agit donc de réorienter le soutien vers des pratiques moins intensives en carbone, comme l’agriculture bio ou raisonnée. Mais aussi de prendre en compte à leur juste valeur les services assurés par les forêts et les écosystèmes (particulièrement zones humides, mangroves, etc).
Sur l'ensemble de ces points, les auteurs du rapport insistent toutefois sur le fait qu’il n’existe pas de "solution unique mais une pluralité, qui doivent être adaptées à chaque pays".