Publié le 31 janvier 2020
ENVIRONNEMENT
Agrocarburants : le gouvernement confronté à ses propres incohérences sur l'huile de palme
En décembre, la loi de Finances 2020 a acté la sortie des produits à base d’huile de palme de la liste des biocarburants bénéficiant d’un avantage fiscal. Mais une note des Douanes est venue semer le trouble sur les PFAD, ces acides gras de palme issus de la production d'huile de palme alimentaire. Depuis, le ministère de la Transition écologique refuse de clarifier la situation et s’en remet au Conseil d’État, qui doit statuer d'ici l'été.

@Total /Nedim IMRE
Deux notes qui disent exactement l’inverse l’une de l’autre à seulement six mois d’écart. Le 19 décembre dernier, alors que les parlementaires viennent de voter l’exclusion de tous les produits à base d’huile de palme de la liste des biocarburants bénéficiant d’un avantage fiscal, la Direction générale des douanes indique que les PFAD, des distillats d’acide gras de palme issus de la production d'huile de palme alimentaire, pourront bénéficier du régime fiscal incitatif à l’incorporation de biocarburants. Ceux-ci ne pouvant "être considérés comme des produits à base d’huile de palme", assurent les autorités.
Six mois plus tôt, le 17 juin 2019, cette même Direction des douanes avait pourtant édité une autre note, révélée par l’association Canopée, disant explicitement que les PFAD "seront exclus" du mécanisme fiscal bénéficiant aux biocarburants. Entre juin et décembre, que s’est-il passé ? C’est ce que cherchent à comprendre plusieurs ONG. Elles ont saisi le Conseil d’Etat pour faire annuler la note des Douanes de décembre et ainsi "faire appliquer la loi". Leur recours en référé a été rejeté mais le Conseil d’Etat promet de statuer sur le fond d’ici l’été.
Des incohérences
Élisabeth Borne, ministre de la Transition écologique et solidaire, a organisé une réunion le 21 janvier dernier, avec des ONG, la direction des Douanes, des parlementaires et des représentants de Total. L’incohérence entre les deux notes y a été pointée du doigt et reconnue, semble-t-il, par la ministre, qui s’en remet à la décision du Conseil d’Etat. "Cela pose question", admet le député de la majorité Anthony Cellier, présent à la réunion, qui assure rester vigilant. Contacté à plusieurs reprises par Novethic, le ministère n’a pas souhaité réagir.
"Alors qu’Élisabeth Borne a reconnu les incohérences du gouvernement sur ce dossier, aucune réponse n’a été apportée. Cette position n’est pas tenable, c’est un déni de démocratie", dénonce Agathe Bounfour du Réseau Action Climat. "Les documents que nous avons révélés montrent l'extrême collusion entre Total et le gouvernement, ce qui n’est pas acceptable dans un État de droit", a également réagi Sylvain Angerand, coordinateur des campagnes pour Canopée.
L’enjeu est de taille pour Total puisque qu'il prévoit d’utiliser des PFAD dans sa bioraffinerie de La Mède, de l’ordre de 100 000 tonnes par an en provenance majoritairement de Malaisie et d’Indonésie, selon des documents officiels. Le groupe explique s'être engagé à traiter un minimum de 25 % de déchets et résidus dans lesquels il compte les PFAD. "Sans les PFAD, cela va s’avérer très compliqué…" réagit un porte-parole.
En ligne de mire, l'aviation
La mission d’information de l’Assemblée nationale sur les agrocarburants, qui a remis son rapport (1) le 22 janvier - hasard de calendrier -, alerte, elle aussi, sur le risque de contournement du vote sur l’huile de palme dans la loi de Finances 2020. Les corapporteurs du texte appellent ainsi à maintenir "la vigilance". "Comment ne pas être interloqués par la note des services des Douanes diffusée... entre Noël et le Nouvel An ? (...) L’accord passé entre Total, dans le cadre de ses investissements sur son site de La Mède, et le précédent gouvernement reste une absurdité environnementale et il ne faudrait pas que la vigilance du Parlement soit déjouée en permanence".
Plus largement, au-delà de l’approvisionnement de Total à La Mède, la question de savoir ce qu’on met dans la liste des biocarburants est majeure notamment pour le secteur de l’aviation. La France vient de se fixer des objectifs de substitution du kérosène par des biocarburants de 2 % en 2025 et 5 % en 2030. "Notre ambition c'est que ces biocarburants soient véritablement durables, sur l'ensemble de leur cycle de vie. Ils ne doivent en aucun cas entraîner directement ou indirectement de la déforestation ou entrer en concurrence avec les usages agricoles", assure Élisabeth Borne. Ces biocarburants pourront-ils alors compter sur les PFAD ?
Concepcion Alvarez, @conce1
(1) Voir le rapport de la mission d'information sur les agrocarburants