Publié le 14 août 2023
ENVIRONNEMENT
Mangera-t-on le même pain en 2050 : Face au changement climatique, le blé français se transforme
Pain, pâte, couscous... Le catalogue des graines de blé se renouvelle pour mieux résister à la crise climatique. Alors que les agriculteurs, sélectionneurs et industriels de l'agro-alimentaire misent sur la recherche variétale, certains vont jusqu'à détrôner l'épi blond au profit d'autres céréales.

@Jonathan Petersson / Pexels
En 2022, le rendement de blé tendre a baissé de 28% par rapport à l'année précédente en région Provence-Alpes-Côte d'Azur selon les chiffres d'Agreste, le service statistique du ministère de l'Agriculture. En cause : la sécheresse. La production nationale, en légère hausse, a été sauvée in extremis par des pluies fin juin. "Le réchauffement climatique se fait clairement sentir par des aléas de plus en plus fréquents et intenses", témoigne auprès de Novethic Maéva Colombet, conseillère en grandes cultures à la chambre d'agriculture du Tarn, dans la région Occitanie.
Face à cela, les coopératives agricoles et les industriels accélèrent la recherche sur les graines. "La moitié de nos expérimentations concerne les essais variétaux", pointe Marie Le Neouanic, responsable du service agronomie chez Natup, coopérative regroupant plus de 7000 agriculteurs autour de Rouen. De son côté, le producteur de pates et de semoule Panzani travaille avec des semenciers pour "contourner les effets du changement climatique", explique auprès de Novethic le premier transformateur de blé dur en France.
"Nous, agriculteurs, faisons de la recherche sans le dire !"
Les sélectionneurs de blés s'inspirent d'autres pays comme l'Espagne, l'Italie ou même l'Australie qui produisent des variétés plus résistantes aux sécheresses et aux fortes chaleurs. Reste qu'il n'est pas possible de calquer en France les pratiques historiques de régions plus au Sud. Les agriculteurs jonglent avec de nombreux paramètres : résistance aux maladies, gel, date de semis, quantité de protéines... D'où l'importance de réaliser des croisements et de continuer la sélection variétale.
Les choix d'espèces sont aussi remis en question. Les plus courantes sont le blé dur, utilisé pour les pâtes et la semoule, et le blé tendre utilisé pour le pain. Or le sud de la France produit moins de blé dur. Pour répondre à cette problématique, le groupe Panzani mène des essais au nord-est de Paris où le blé tendre domine mais où il détecte des "opportunités" pour le blé dur.
Les semences paysannes élargissent l'éventail de choix. Thierry Chable, agriculteur bio de la Sarthe, les remet au goût du jour. Il s'est diversifié depuis deux ans avec du blé Poulard, une espèce ancienne de la famille des blés barbus, résistante aux grandes chaleurs et plébiscitée pour les pâtes. "C'est nouveau pour moi alors que je fais depuis 15 ans de la farine destinée au pain avec du Rouge de Bordeaux, une variété ancienne de blé tendre, témoigne-t-il auprès de Novethic. Nous, agriculteurs, faisons de la recherche sans le dire !"
Semences paysannes, sorgho, kernza... Diversifier les céréales
De plus en plus, la traditionnelle graine blonde laisse place à d'autres céréales. Parmi elles, le sorgho, originaire d'Afrique et connu pour sa résistance à la sécheresse. La France en est devenue le premier producteur européen avec une surface qui a plus que triplé entre 2016 et 2021. Cette plante peut servir d'alimentation pour les bovins et peut aussi remplacer le blé dans la confection de pates, avec la spécificité d'être sans gluten.
"Le but est de lisser les risques grâce à la diversité. Le Sorgho permet de sécuriser des régions comme le sud, plus touchées par le changement climatique. Il ne remplacera pas le blé, hyperproductif, qui reste une des cultures les plus faisables", nuance Marie Le Neouanic. Toutefois, le sorgho connaît aussi des hauts et de bas. Sa production a été réduite de 30% en 2022 à cause de la sécheresse. De nombreuses autres expérimentations voient le jour comme le kernza, une céréale au rendement faible mais à la résistance élevée aux aléas.
"Faire changer les habitudes de consommation"
"Mais c'est un travail de longue haleine de faire changer les habitudes de consommation, surtout sur des produits inconnus", regrette Maéva Colombet, conseillère à la chambre d'agriculture du Tarn. Pour l'instant, dans ce département, la proposition de produits nouveaux est plutôt poussée par des initiatives locales, comme une brasserie utilisant du sorgho et du millet. "Malheureusement, aujourd'hui les acteurs de l'agro-alimentaire se préoccupent peu des contraintes des agriculteurs", lance la conseillère.
Au-delà de renouveler les céréales ou variétés, il est aussi et surtout question de changer les pratiques. "Le changement climatique et les évolutions réglementaires nous poussent à réduire l'usage d'intrants chimiques et à remettre de la biodiversité, affirme Marie Le Nouanic, de la coopérative NatUp. C'est un cercle vertueux avec des solutions qui luttent contre changement climatique et aident à s'y adapter." Couverts végétaux, rotations, ajout de biostimulants, plantation de haies... Il y a du pain sur la planche.