Publié le 03 décembre 2020
ENTREPRISES RESPONSABLES
Publicité : les médias proposent des formats plus responsables pour éviter une interdiction qui fragiliserait leur modèle
Des ONG et la Convention Citoyenne pour le Climat réclament l'interdiction de la publicité pour les produits les plus polluants. Pas question, clament de plus en plus de médias craignant de voir leur équilibre économique, déjà fragile, s’effondrer. Pourtant, il va falloir changer de modèle alors que le ministère de la Transition écologique est en train d'élaborer une loi en ce sens.

BH avec Tatomm
Des formats publicitaires "solidaires" pour mettre en avant des associations, des rabais avantageux pour des messages vantant les produits éco responsables aux heures d’écoutes ou des dons aux ONG… Les régies publicitaires des médias innovent à tout va avec de nouveaux formats destinés à verdir leurs publicités. Une dynamique qui ne doit rien au hasard. Cette année a marqué un tournant pour le secteur publicitaire. Déjà critiqué pour son impact social, il est cette fois pointé du doigt par pour son rôle dans le changement climatique.
Une critique de trop qui va amener le gouvernement à légiférer très prochainement sur le sujet. Parmi les pistes : une interdiction, comme le demandent les ONG et la Convention citoyenne, ou du moins des quotas publicitaires pour certains produits ou secteurs jugés trop polluants et émetteurs de gaz à effet de serre comme les SUV. Problème : cette publicité fait vivre une grande partie des medias français qui en tirent en moyenne 40 à 60% de leur revenu, voire 100% pour les radios indépendantes.
Ne pas fragiliser les médias
Ceux-ci sont déjà fragilisés depuis des années avec la crise de la presse et cette année encore davantage avec celle du Covid-19 qui a déjà réduit de 20 % leurs recettes publicitaires. Ils craignent le coup de grâce avec une loi reprenant les propositions de la Convention citoyenne sur la publicité. Selon le SNPTV (Syndicat National de la Publicité Télévisée), la perte potentielle de recette est estimée entre 20 et 30 % pour la télévision.
Si le Sirti, syndicat des radios indépendantes, admet une nécessaire réflexion autour du modèle économique des médias, il demande au gouvernement de ne pas céder aux sirènes de l’interdiction. "La sensibilisation du public à la protection de l’environnement ne doit pas se faire au détriment des médias financés par la publicité, diffusant gratuitement leurs programmes. Il en va de la liberté d’expression et de la préservation, de la diversité du paysage médiatique dans les territoires", assurent des médias locaux dans un communiqué.
En lien avec les medias nationaux, avec lesquels ils ont monté un groupe de travail, ils proposent à la place un "contrat média climat" sous l'égide du CSA et par lequel les médias s'engageraient à diffuser des contenus éditoriaux et publicitaires pour valoriser et sensibiliser sur la transition écologique. Les premiers engagements sont attendus au premier semestre 2021.
"La transition se fait au bon rythme si elle préserve les équilibres économiques. Et celui des médias, indispensables à notre démocratie, est fragilisé aujourd’hui. Il ne faut pas les surréglementer", assurait, en tant qu'annonceur, le directeur de la communication de BNP Paribas, Bertrand Cizeau, lors du lancement des États généraux de la publicité, le 26 novembre.
The Guardian précurseur
Pour le collectif d'ONG qui a participé au rapport Big Corpo sur l’influence de la publicité des multinationales, le problème vient plutôt du choix du modèle économique de la presse, trop dépendant de la publicité pour ne pas avoir de conséquence sur l’éditorial et non résilient face aux crises. Comme pour la loi Evin sur le tabac ou l’alcool, il faut une réglementation, planifiée, qui laisse le temps de changer de modèle et de le rendre plus responsable.
Outre-Manche, le quotidien The Guardian a engagé l’an dernier cette transition. Le journal n'accepte plus de publicité de la part du secteur des énergies fossiles pour gagner en cohérence par rapport à son engagement de neutralité carbone et enquêter plus librement sur le lien entre énergie et changement climatique. En revanche, le secteur automobile, également épinglé pour son empreinte environnementale, n'est pas concerné: cela entraînerait d’inévitables coupes budgétaires pour la rédaction, préviennent les dirigeants.
Béatrice Héraud, @beatriceheraud