Publié le 18 juin 2018
ENTREPRISES RESPONSABLES
La transformation responsable des entreprises noyée dans la loi Pacte
Elle devait comporter un important volet sur la transformation, plus responsable, des entreprises… La loi Pacte permettra finalement des aménagements à la marge. Le code civil sera bien modifié pour intégrer la prise en considération des impacts sociaux et environnementaux dans la gestion de l’entreprise. Mais, nous sommes loin de la vision de l’entreprise responsable portée par le rapport Notat/Senard et dont le ministre de l’Économie avait déclaré vouloir reprendre la majeure partie.

Eric Piermont /AFP
Après deux mois de report, la loi Pacte (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises) est enfin présentée en conseil des ministres ce lundi 18 juin. L’élaboration de ce texte avait débuté dans l’euphorie d’une grande concertation associant partenaires sociaux, chefs d’entreprise et parlementaires. Mais celle-ci semble s’être émoussée au fil du temps.
Le texte, protéiforme, est destiné à booster la croissance des entreprises et notamment celle des PME. Il contient 73 articles qui embrassent des sujets allant de la simplification de la création d’entreprises, à la privatisation d’ADP ou d’Engie, en passant par un nouveau cadre pour les cryptomonnaies.
Mais il laisse sur sa faim quant à la partie concernant la transformation des entreprises, pour laquelle nous attendions plus d’intégration des principes de la RSE (responsabilité sociétale des entreprises) après les louanges du ministre de l’Économie, Bruno le Maire, sur le rapport Notat/Senard concernant "l’objet collectif de l’entreprise".
Repenser la place des entreprises dans la société
En premier lieu, le chapitre III, qui "prévoit des mesures visant à rendre les entreprises plus justes", selon l’exposé des motifs, reprend quelques préconisations de ce rapport, mais sans en avoir le souffle, ni la vision globale. Et parait noyé dans ce texte XXL.
La généralisation de la prise en compte des impacts sociaux et environnementaux était l’un des points de crispation du patronat et d’un certain nombre de juristes. Cette modification, portée au départ par le ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot, est toutefois maintenue, mais son impact reste surtout symbolique.
Le code civil va ainsi être modifié pour intégrer, dans l’article 1833, le fait que la gestion des sociétés se réalise "dans l’intérêt social, en prenant en considération des enjeux sociaux et environnementaux". Dans son avis, le Conseil d'Etat précise que la mise en œuvre de cette disposition, "dont les effets s’attachent au processus de prise de décision, doit tenir compte de la nature de l’activité, de la taille, de la forme juridique et de l’objet des sociétés concernées". Et que la formulation, "en prenant en considération" traduit davantage une "préoccupation générale dont on a conscience et non un but précis que l’on se donne ou que l’on doit atteindre".
Selon l’exposé des motifs de la loi, c’est la première fois que la loi française entérine le fait que les sociétés "ne sont pas gérées dans l’intérêt de personnes particulières, mais dans leur intérêt autonome et la poursuite des fins qui lui sont propres". Pour en donner les moyens à l’entreprise, le code de commerce (L225-35) est également modifié pour permettre au conseil d’administration de déterminer les orientations de l’activité de la société de la même manière, c’est-à-dire "conformément à son intérêt social, en considérant ses enjeux sociaux et environnementaux". Il devra aussi suivre la "raison d'être" de l'entreprise lorsque celle-ci sera mentionnée dans les statuts.
A noter que la notion d’"intérêt social" a été préférée à celle d’"intérêt collectif" choisie par le rapport Notat/Senard. Elle n’a jamais été définie par le législateur, mais elle est utilisée dans la jurisprudence pour certains contentieux comme l’abus de bien social.
Une raison d'être
La possibilité d'inscrire une raison d'être dans les statuts de l'entreprise était en effet l'un des apports les plus marquants du rapport Notat/Senard publié en mars. L'article 59 de la loi Pacte le reprend en modifiant l’article 1835 du code civil. Cette notion "vise à rapprocher les chefs d’entreprise et les entreprises avec leur environnement de long terme", selon l’exposé des motifs de la loi.
Celle-ci pourrait permettre le développement des "entreprises à mission". Mais aucune mention explicite n'y fait référence. Pourtant, le rapport Notat/Senard voulait voir mis en avant cette catégorie d’entreprises orientée sur l’impact positif, qui séduit un nombre croissant de chefs d’entreprises français , en insistant de plus sur la définition de cette raison d'être par le conseil d'administration ou encore la possibilité de mettre en place un comité de parties prenantes. Deux notions essentielles qui ont disparu de la version législative.
Mieux impliquer les salariés
Enfin, le texte appuie la notion de partage de la valeur. L’un des objectifs de la loi Pacte est de mieux associer les salariés aux fruits de la croissance en développant notamment des dispositifs d’épargne salariale, d’intéressement et de participation des salariés notamment dans les PME.
Cela passera notamment par la suppression du forfait social (une contribution affectée à la Sécurité sociale) pour les dispositifs d’épargne salariale dans les entreprises de moins de 50 salariés et de celui des accords d’intéressement pour les entreprises de moins de 250 salariés.
Les salariés seront également mis en avant dans les conseils d’administration. Jusque-là, dans la loi, les entreprises disposant d’un conseil d’administration, devaient nommer au moins un administrateur salarié. La loi leur en imposera désormais 2 à partir de 8 administrateurs. C’est moins ce que préconisait le rapport Notat/Senard.
Concernant le calendrier, la loi ne pourra pas être examinée avant la trêve estivale. Elle passera donc en commission puis devant l’Hémicycle en septembre.
Béatrice Héraud @beatriceheraud