Publié le 27 février 2018
ENTREPRISES RESPONSABLES
Loi Pacte : ne pas faire du profit le seul but des entreprises provoque un schisme au sein du patronat
Dans quelques jours, le rapport écrit par le patron de Michelin, Jean Dominique Sénard, et la patronne de Vigeo-Eiris, Nicole Notat, sera remis au gouvernement. Il doit alimenter le projet de loi Pacte sur la transformation de l'objet social de l’entreprise. Parmi les pistes étudiées : la modification du code civil pour que le profit ne soit plus leur seul but. Une mesure qui divise fortement les dirigeants français.

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Faut-il camper sur les acquis d’un code civil qui fait ses preuves depuis plus de 200 ans ou le faire évoluer pour s’adapter aux évolutions de la société ? C’est la querelle qui oppose depuis quelques mois les partisans et les détracteurs de la modification des articles 1832 et 1833 du code civil (voir ci-dessous). Ils définissent ce qu'est une société, à savoir une entité qui doit créer de la richesse pour les associés qui la dirigent.
Le 11 décembre 2017, le ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot affirmait vouloir "faire évoluer l'objet social de l'entreprise, qui ne peut plus être le simple profit, sans considération aucune pour les femmes et les hommes qui y travaillent, sans regard sur les dégâts environnementaux". Avant d’ajouter : "Cette réforme, qui nous conduira vraisemblablement à modifier le code civil, fera en sorte que les principes et valeurs de cette économie sociale et solidaire, cette économie pionnière, celle qui tend la main, celle qui partage, celle qui préfère la coopération à la compétition, devienne désormais la norme et non plus l'exception".
Ouvrir la boîte de Pandore
Malgré les crispations qui s'en sont suivies, le sujet est bien à l’étude dans le cadre du Pacte, le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises prévu pour le printemps. Ce changement de paradigme devrait, dans un premier temps, être abordé dans le rapport Sénard/Notat, qui doit être publié le 1er mars.
Du côté des réticents, les syndicats patronaux font front. Cette révision est un "jeu très dangereux, faisant peser sur les entreprises un risque majeur et même vital" (1), estime ainsi le directeur général de l’Afep (Association française des entreprises privées), François Soulmagnon. Il est soutenu par Pierre Gattaz, le patron du Medef, pour qui la modification mettrait "en difficulté l'ensemble des entreprises françaises" et les rendraient "dépendantes face à des activistes environnementaux". Pour les deux organisatons patronales, pas de raison de changer le droit dur. Elles proposent en lieu et place et une révision de leur code de bonn gouvernane qui fait référence pour les enreprises cotées en restant non contrainant (2).
La CPME, qui réunit les patrons des PME, n'est pas en reste. Elle estime qu'il s'agit d'une "mauvaise réponse à une vraie question. Mettre de manière autoritaire sur un pied d'égalité juridique les salariés, les fournisseurs, les clients ou toute autre communauté potentiellement affectée par l'activité de l'entreprise quelle qu'elle soit, risquerait en effet d'entraîner une multiplication des contentieux".
Des arguments qui ne tiennent pas selon Geneviève Ferrone, fondatrice et directrice du cabinet Prophil. Selon elle, pour porter plainte, il faut avoir un intérêt à agir en tant que partie prenante de l’entreprise elle-même, ce qui limite le risque d'inflation judiciaire. Elle prend pour preuve d’autres pays comme le Royaume-Uni ont intégré cette logique d’ouverture sans en avoir pâti. "Ne ratons pas une opportunité historique de redonner confiance dans les entreprises, particulièrement les plus grandes, abîmées par la financiarisation de l'économie", avertit-elle.
Intégrer l'économie responsable dans le droit dur
Selon les tenants de la modification du code civil, celle-ci permettra d'adapter le droit positif à une nouvelle ère de l'économie plus responsable. "Nos sociétés contemporaines attendent de l’entreprise qu’elle joue un rôle prépondérant dans la recherche d’une croissance raisonnée, génératrice de bien-être et de progrès", écrivaient (3) il y a déjà un an, plusieurs personnalités dont Antoine Frérot, PDG de Véolia, et Emmanuel Faber, PDG de Danone.
"Si [les] dispositions [du code civil] constituaient un progrès important lors de leur adoption il y a plus de deux siècles, il n’est pas choquant de devoir les adapter à notre monde actuel. Plutôt que de proposer de nouvelles structures juridiques (...) nous proposons de mettre la responsabilité sociale de l’entreprise au centre de ses documents constitutifs", ajoutent-ils.
Dans une autre tribune (4), publiée en février de cette année, Pascal Demurger, directeur général de la MAIF, s'engage à son tour dans la bataille. "Ce serait un symbole très fort et utile pour susciter une réelle prise de conscience au sein des quatre millions d'entreprises que comptent notre pays. Cette obligation universelle conduirait la gouvernance de nos entreprises à ouvrir le débat et changer d'état d'esprit en faisant entrer la recherche de l'intérêt général dans ses préoccupations", écrit-il.
"Ne pas modifier le code civil donne l’idée d’une certaine déconnexion avec ce qui se passe et avec les attentes de la société", tranche de son côté l’entrepreneur social Charles Edouard Vincent, fondateur d’Emmaüs défis et de la startup Lulu dans ma rue.
Encore faudra-t-il passer sous les fourches caudines du Conseil d'État. En 2015, Emmanuel Macron, alors ministre de l'Économie, avait voulu modifier en ce sens le code civil... avant de se faire retoquer par les magistrats.
Béatrice Héraud @beatriceheraud
(1) "Ces articles du code civil qui enflamment le patronat", La Croix
(2) parmi les pistes ouvertes à consultatn : faire explicitement mention "qu'au coeur des missions du conseil d'administration figurent la prise en compte du long terme et des conséquences sociétales, sociétales et environnementales de l'activité de l'entreprise" ou l'intégration de critères RSE dans la rémunération des dirigeants.
(3) "Plaidoyer en faveur d'une économie de marché responsable", Le Monde
(4) "Une meilleure prise en compte de l'intérêt général peut être un avantage concurrentiel majeur", Le Monde