Publié le 15 avril 2020
ENTREPRISES RESPONSABLES
La crise du Covid-19, stress test grandeur nature de la RSE
Avec la pandémie, les engagements des entreprises en matière de responsabilité sociale (RSE) sont mis à l’épreuve. Ceux-ci sont scrutés autant par les populations que par les analystes et les politiques. Pour celles qui n’y voyaient qu’un élément annexe ou de communication, le retour de bâton risque d’être rude. Quant aux entreprises engagées dans une démarche sincère, de long terme, elles pourraient y trouver un levier fort de résilience.

@liravega
Quelques mois avant la crise, la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ou la Raison d’être avaient bonne presse dans les communications des entreprises, jusqu’aux plus grands banquiers et grandes fédérations d’entreprises qui assuraient y voir une source de performance. En mettant à plat l’économie, le Covid-19 teste leur engagement réel.
C’est d’abord la façon dont les entreprises ont répondu à la crise, dans l'urgence, qui est scrutée. Et "au niveau opérationnel, force est de constater que les entreprises qui portaient une forte attention au social, notamment avec un solide dialogue avec les parties prenantes, ont pu agir plus rapidement, et de façon coordonnée avec leurs collaborateurs", souligne Francesco Bellino, directeur associé en charge de la Sustainability au Boston Consulting group. Parmi les premiers de cordée, on trouve notamment les entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS) et celles ayant travaillé sur leur raison d'être ou le nouveau statut d’entreprises à mission permis par la loi Pacte (1).
Des réponses rapides et engagées à la crise
Première responsabilité : assurer la protection des salariés. Les entreprises ayant le mieux agi sur ce sujet se sont mieux comportées sur les marchés et devraient garder durablement la confiance de leurs collaborateurs. Pour les entreprises ayant privilégié les opportunités économiques, le retour de bâton est immédiat. Par exemple, Amazon, épinglé médiatiquement, vient de voir son activité restreinte par la justice en attendant une évaluation de ses mesures de protection des salariés.
La question de l’utilité sociale de l’entreprise, c'est-à-dire comment celle-ci mobilise ses moyens de production et d’innovation au service de la société, fait aussi figure de preuve d’engagement. L'Oréal a produit du gel hydroalcoolique, 1083 a fabriqué des masques en masse et Décathlon a fourni des équipements pour aider les malades à respirer. Des pratiques exemplaires, même si certains y voient un risque de "Covidwashing". La différence se fera sur la capacité à repenser le business model sur cette ligne d'utilité une fois le pic de la crise passé.
Autre critère observé : le partage de la valeur. Pour assurer un équilibre entre des salariés sur-sollicités ou au contraire mis à l'arrêt forcé avec des pertes de salaires, certaines entreprises ont rogné les dividendes ou réduit les salaires des dirigeants. D'autres ont reversé les profits liés au Covid à leurs clients (comme les gains des primes auto pour la Maif) ou aux personnes en difficulté (C’est qui le Patron ?). Moins visible du grand public, la solidarité avec les fournisseurs et prestataires est pourtant tout aussi essentielle. Une partie de l’industrie textile est ainsi été épinglée par Human Right Watch pour avoir annulé des commandes en cours ou suspendu ses paiements, causant une casse sociale en Asie. A contrario, des entreprises ont créé des fonds pour aider leurs fournisseurs affectés comme Samsung qui a provisionné plus de deux milliards de dollars.
Besoin de résilience
Viendra ensuite l'après-crise et le temps long de la durabilité dans un monde a jamais changé par la pandémie. "Dans le redémarrage, les questions sociales et de gouvernance seront toutes aussi cruciales, avec un besoin fort de dialogue et d’ingénierie sociale. Ni l’urgence environnementale, ni les tendances de consommation durable, ni les pressions sociales et politiques ne disparaîtront. Plus encore que la performance, c’est la notion de résilience qui sera clé", souligne l’expert du BCG.
Car la crise du Covid a montré de façon très matérielle l’interconnexion entre les risques extra-financiers et financiers, rendant l’intégration des dimensions ESG dans leur globalité (via les Objectifs Développement Durable) plus décisives que jamais pour assurer l’après. Et les politiques climat et biodiversité seront essentielles pour s’adapter à la nouvelle donne. "L’autorisation d’exister (license to operate) de l’entreprise de demain va dépendre de sa capacité à trouver un modèle d’affaire compatible avec les ressources finies de la planète", estime ainsi Fabrice Bonnifet, Président du Collège des Directeurs Développement durable dans une tribune.
On scrutera donc tout autant les actions qui entraveront ces avancées comme le lobbying déjà à l'œuvre dans certains secteurs pour réduire les exigences environnementales et sociales ou les pratiques d’optimisation fiscales, particulièrement dénoncées pour leur effet sur le système de santé.
Béatrice Héraud, @beatriceheraud
(1) La député LREM Olivia Grégoire entend d'ailleurs profiter de la crise pour développer ce statut d'entreprises à mission explique-t-elle dans la Tribune.