Publié le 27 août 2019
ENTREPRISES RESPONSABLES
Faute de "contribuer positivement à la société", les glaces Magnum ou les nouilles d’Unilever pourraient disparaître
En juillet, le nouveau PDG d'Unilever a déclaré que le groupe pourrait se séparer de certaines de ses marques si elles ne faisaient pas la preuve de leur durabilité. Et ce, même si elles sont rentables. Un signal fort envoyé au marché par ce géant des produits de grande consommation, considéré comme l'une des multinationales les plus engagées en matière de responsabilité sociétale. Mais cela ne suffit pas pour les partisans de l'économie d'impact.

@Poulssen
Les marques qui ne contribuent pas positivement à la société ont-elles encore une place dans le portefeuille des entreprises ? Pour Alan Jope, nouveau président d’Unilever, la réponse est non. Les glaces Magnum, les nouilles instantanées Noodle ou la pâte à tartiner Marmite, dont raffolent les anglais, par exemple pourraient ainsi disparaître des rayons sous la marque Unilever, faute d’avoir trouvé une raison d’être durable.
L’entreprise doit servir la société
Dans les prochains mois, les responsables d’Unilever vont devoir se poser une question : "est-ce que ces marques peuvent rendre la société ou la planète meilleure de façon durable, sur les prochaines décennies ?", assure le dirigeant. Certaines marques peuvent ainsi s’améliorer sur leur process de fabrication (moins d’eau ou d’énergie), la réduction des emballages ou le bien-être animal. Mais si elles échouent, elles seront radiées du portefeuille du groupe, assure le PDG, sans toutefois évoquer de calendrier ni préciser exactement quelles marques seront concernées.
Cette stratégie radicale s’inscrit dans la lignée de celle menée par Paul Polman, l’ex-charismatique PDG d’Unilever qui a quitté ses fonctions début 2019. Sa vision d’une entreprise destinée "d’abord et avant tout à servir la société" est aujourd’hui prônée par un nombre grandissant de grands patrons.
Connu pour ses engagements sociaux et environnementaux, Paul Polman avait donné à Unilever la mission de "faire du développement durable un standard". Le groupe est aujourd’hui considéré par les analystes comme l’une des multinationales aux avants-postes de la responsabilité sociétale d’entreprise (RSE). Depuis 1999, Unilever a trusté 19 fois la tête du Dow Jones Sustainability Index, qui se base sur l’évaluation ESG (environnemental, sociale et de gouvernance) des grandes sociétés cotées mondiales.
Un bons sens business
Cette stratégie n’est pas déconnectée du business. Selon Alan Jope, les marques qui ont pris le tournant de la durabilité - 28 sur les 400 du groupe, parmi lesquelles Dove, Hellmann’s ou Sunsilk - sont désormais les moteurs de la croissance. Elles contribuent pour près du deux tiers au chiffre d’affaires et pour 75 % de la croissance des ventes au premier semestre 2019, rapporte Bloomberg.
Une tendance que l’on observe dans plusieurs autres entreprises, parmi les concurrents d’Unilver, comme Procter&Gamble ou Danone, souligne Elisabeth Laville, fondatrice du cabinet Utopies : "les marques positives, c’est-à-dire qui ont une raison d’être et innovent en matière de conception durable de leur produit, croissent plus vite que les autres", assure celle qui conduit un observatoire sur les marques positives.
Pour cette experte du marketing durable, l’annonce d’Unilever, poids lourd avec près de 2,5 milliards de consommateurs, est un "signal fort" car "comme le dit lui même le PDG d'Unilever, les principes ne restent que des principes s'ils ne coûtent rien. Se séparer de marques fortes montre que l’engagement corporate se traduit directement dans les rayons de supermarché… Et cela n’est pas encore si fréquent", précise-t-elle.
Impact washing ?
Mais sans précision sur les indicateurs, le calendrier et les moyens mis en œuvre, l'objectif d'Unilever est soupçonnée d'être "Woke washing", le fait de faire du business sur le dos de causes sociales et environnementales. "La démarche d’Unilever va dans le bon sens, mais elle reste inaboutie dans le cadre d’une démarche d’impact positif sur la société", souligne Vélina Serafimov, responsable Impact d’Impak finance, une société franco canadienne qui vient de publier une étude sur le cas Unilever.
Selon la méthode d’évaluation d’impact de cette fintech, Unilever n’obtiendrait ainsi qu’une note de 302/1000. Alors que le groupe souhaite que tous ses produits contribuent à au moins un ODD (objectifs de développement durable), seul 1 % du chiffre d’affaires y contribue selon Impak finance. Un grand écart qui vient notamment d’une mesure non harmonisée de l’impact : quand Unilver se concentre sur les aspects positifs des produits ou des programmes de philantropie qui y sont liés, Impak finance va décortiquer les impacts positifs et négatifs, le contexte dans lequel ils s’inscrivent, etc.
Résultat : quand Unilever insiste sur le nombre de personnes sensibilisées par son programme d’hygiène lié au savon anti bactérien Lifebuoy dans les pays en développement, la fintech s’interroge sur l’accessibilité de ce savon aux plus pauvres, le bénéfice additionnel de ce savon par rapport aux autres produits sur le marché ou encore la fabrication et la fin de vie de son emballage… L’étude, envoyée à Alan Jope, "l’a surprise et déçue", rapporte Vélina Serafimov. Les deux entreprises devraient en discuter dans les prochains jours. Contacté, Unilever ne nous a pas répondu.
Béatrice Héraud @beatriceheraud