Publié le 17 mars 2021
ENTREPRISES RESPONSABLES
Après l'éviction d'Emmanuel Faber, Danone doit poursuivre sa mission
C'est l'homme qui a transformé Danone en "société à mission". Emmanuel Faber a été évincé par les actionnaires du groupe jugeant la rentabilité de Danone insuffisante. Le devenir du groupe en tant que société à mission est remis en question. Des garde-fous existent toutefois pour faire en sorte que le double projet économique et social, ancré dans l’entreprise depuis longtemps, survive à cette crise.

@Danone
[Mise à jour le 19 mars] C'était en juin dernier. Danone devenait la première "entreprise à mission" du CAC 40 pour "apporter la santé par l'alimentation au plus grand nombre". Une décision "historique" et audacieuse approuvée à plus de 99 % par les actionnaires. Huit mois plus tard, l'euphorie est retombée. Face à une rentabilité jugée insuffisante et un projet stratégique pas assez convaincant, les actionnaires ont évincé le PDG, Emmanuel Faber.
Si les fonds activistes à l’origine de la fronde ainsi que le Conseil d'administration, ont beau afficher un "attachement" au double projet économique et social de l’entreprise, leurs manœuvres inquiètent sur le devenir de Danone en tant que société à mission. "La majorité des salariés a adhéré à ce projet-là. Cela permettait de construire sur l'avenir. Aujourd'hui les cartes sont rebattues, est-ce que ce projet tient toujours ?", interroge Michel Coudougnes, coordonnateur SNI2A CFE-CGC, auprès de l’AFP.
La société à mission ne doit pas tomber avec son dirigeant
La question est légitime. C'est Emmanuel Faber qui a porté ce projet d'entreprise à mission. Il a "accéléré la transformation de Danone vers un modèle capitaliste plus responsable pour les hommes et la nature", explique ainsi le président du comité à mission de Danone, Pascal Lamy. Dans un tweet, l'ancien dirigeant salue d'ailleurs ses équipes de Danone "qui font vivre tous les jours sa mission". Il n’en demeure pas moins que la pérennité de ce modèle ne doit pas être liée à la seule personnalité de son ex-dirigeant, aussi charismatique soit-il.
Un immense merci à mes chères équipes de @Danone qui font vivre tous les jours sa mission. Pendant 24 ans de ma vie, vous m’avez fait grandir parmi vous, comme homme, et comme dirigeant. Un privilège. Chacune, chacun, restez fidèles à vous-même. You rock. pic.twitter.com/s5hiLmBQGu
— Emmanuel Faber (@EmmanuelFaber) March 16, 2021
"La société à mission n’est pas là pour protéger le dirigeant mais l’entreprise et son projet", souligne l’avocat Errol Cohen, auteur du livre La société à mission. Une fois inscrite dans les statuts de la société comme le demande la loi Pacte, il est difficile de modifier la mission adoptée. Il faudrait ainsi recueillir l’aval de plus du deux tiers des actionnaires. Même si la structure de l’actionnariat et la situation a changé depuis juin, cela semble hautement improbable.
Un enjeu réputationnel
La loi Pacte prévoit aussi un garde-fou par la mise en place d’un comité de mission. Son rôle est de garantir le suivi de la mission et de ses impacts environnementaux et sociaux dans le temps, quel que soit son dirigeant. "La nouvelle direction va devoir s’expliquer sur son projet. On verra assez vite s’il y a changement de cap ou pas", affirme Pascal Lamy à BFMTV. Si le double projet venait à être remis en cause, il quitterait alors le navire. Ce qui mettrait réputationnellement fin à la démarche.
La société à mission est enfin et surtout un projet d’entreprise qui se construit avec ses équipes et s’évalue sur le long terme. "On n’est pas une société à mission, on le devient", souligne Errol Cohen. En février, plus de 5 000 salariés et partenaires de l’entreprise avaient tenus à "réaffirmer avec force" leur "adhésion aux valeurs et à la mission" mise en œuvre depuis 50 ans par le Groupe. C’est ce modèle, ancré "dans l’ADN" de Danone qui "fait sa force", écrivaient-il alors.
Le groupe a en effet bâti sa réputation sur une forte responsabilité sociétale, allant jusqu’à adapter un label international de responsabilité sociétale (Bcorp) à son envergure de multinationale. Un modèle auquel le nouveau président se dit attaché. "Il faut poursuivre sur cette voie car il n'y a pas d'autre choix. Une entreprise qui ne sera pas responsable ne sera pas durable. Je pense même que c'est un atout compétitif", a assuré Gilles Schnepp dans un entretien aux Echos le 19 mars. Son action en la matière sera particulièrement scrutée. En devenant l’une des très rares entreprises à mission cotées, Danone est en effet devenu un cas d’école international. Cette crise fait donc figure de stress test en mettant le modèle à l’épreuve des marchés financiers.
Béatrice Héraud, @beatriceheraud