Publié le 03 juillet 2023
ÉCONOMIE
Violences urbaines : les risques sociaux, angle mort des indicateurs classiques, coûtent cher à l’économie
Pillages de commerces, destructions de bâtiments publics et images d'une France à feu et à sang qui tournent en boucle dans les médias provoquent une vague d'annulation dans les hôtels et les restaurants et vident les magasins couverts de contreplaqué en période de soldes. Ces violences urbaines trouvent leur source dans le cumul d'indicateurs d'inégalités sociales des quartiers défavorisés face à une croissance en hausse, un taux de chômage en baisse et au démarrage d’une réindustrialisation décarbonée. Pour identifier et prévenir les risques sociaux, mieux vaudrait regarder les Objectifs de Développement Durable (ODD).

PATRICK HERTZOG / AFP
La colère destructrice de ces milliers de jeunes qui cassent, brûlent et attaquent commerces, voitures et bâtiments publics est celle de la génération Covid. Âgés en moyenne de 17 ans, ils sont pour la plupart issus des quartiers défavorisés et ont l’âge de Nahel, le jeune homme tué par un policier à Nanterre mardi 27 juin. Ils ont, pendant deux ans, été déscolarisés et enfermés dans des cités en piteux état, véritables cages de chaleur quand les températures sont élevées. Ils sont confrontés au quotidien aux impasses de leur avenir, eux qui ne sont ni en emploi, ni en formation, ni au chômage.
Ce sont majoritairement des garçons, les filles étant plus intégrées en particulier dans le système scolaire, et ils rendent responsables le racisme et la discrimination de l’exclusion sociale dont ils se sentent victimes. Cela ne justifie en rien la violence nihiliste dont ils font preuve un peu partout en France la nuit venue mais cela explique que ces quartiers sont aujourd’hui des poudrières sur lesquelles les racines des émeutes de 2005 ont proliféré.
Nouvelles grilles de lecture
20 ans après, les inégalités sociales se sont creusées, la campagne présidentielle de 2022 a été dominée par les thèmes racistes des deux partis d’extrême droite et les conflits violents émaillent la vie politique : Sainte Soline en octobre et en mars, manifestations des retraites pendant plusieurs mois, et maintenant les émeutes urbaines dont la particularité est de se dérouler sur tout le territoire. Cela permet de souligner l’existence de risques sociaux majeurs qui pèsent sur la France. Le pays doit, en plus des dégâts qui se chiffreront probablement en milliards d’euros, accueillir dans le calme la Coupe du monde de rugby en septembre et les Jeux Olympiques à Paris l’été prochain alors qu’elle a été montrée dans le monde entier comme le pays où l’essence manque à l’automne et les poubelles s’amassent sur les trottoirs au printemps.
Pour faire de la prévention, il faut donner une priorité à ces risques sociaux que les indicateurs économiques traditionnels ne capturent pas. Cela passe par de nouvelles grilles de lecture qu’incarnent bien les Objectifs de Développement Durable et leurs 17 priorités qui lient environnement et social. Adoptés par les Nations Unies en septembre 2015, ils doivent servir de boussole pour 2030 aux pays du monde entier. Le réseau SDSN (pour Sustainable Developement Solutions Network), dirigé par l’économiste américain, Jeffrey Sachs, publie régulièrement des évaluations de la feuille de route de chaque pays en compilant des milliers de statistiques. Il n’y a que deux objectifs où la France est sur la bonne route : l’égalité entre les genres (objectif 5) et les partenariats pour développer des modèles plus durables (objectif 17). En revanche, sur l’objectif 10 qui consiste à réduire les inégalités sociales, les défis sont très importants selon le SDSN.
"Urbains désœuvrés"
Les initiatives pour tenter de conjuguer les combats sociaux et environnementaux sont rares et récentes. On peut signaler la précarité énergétique d’été que vient de mettre en lumière la Fondation Abbé Pierre ou l’initiative du collectif Alerte qui réunit les ONG de lutte contre l’exclusion. Elle vient de lancer son initiative pour faire de la planification écologique un levier d'inclusion sociale et de respect du droit à un environnement sain !
Les #associations de #solidarité se mobilisent pour faire de la planification écologique un levier d'inclusion sociale et de respect du droit à un environnement sain !
Nos propositionshttps://t.co/y1AnLcyUEg pic.twitter.com/wAy3e1ccbx— Collectif ALERTE (@CollectifALERTE) June 29, 2023
Ceci en prévision du 4 juillet où doit être annoncé le Pacte des Solidarités du gouvernement et le 5 celui du Conseil de planification écologique gouvernemental si le calendrier n’est pas bouleversé par les violences urbaines qui sévissent depuis près d’une semaine. Face aux centaines de millions d’euros de dégâts d’ores et déjà annoncé par les représentants des commerces, Bruno Le Maire a annoncé samedi 1er juillet le report de leurs charges pour les commerces dégradés et envisage de prolonger les soldes. Les hôteliers et restaurants demandent eux un report du paiement de leurs PGE (Prêts Garantis par l’Etat) accordés pendant la crise Covid.
De crises en crises, les pompiers publics ont de moins en moins de moyens de parer à une colère nourrie de ressentiment social et d’inflation galopante. L’adaptation à de nouvelles conditions de vie supposent de se poser de nouvelles questions comme celle évoquée par Jean-Marc Jancovici sur LinkedIn : "Les grosses villes et les emplois tertiaires ont été créés par l'abondance énergétique. Faut-il chercher à garder une population essentiellement urbaine dans le monde de demain ? Ne va-t-on pas, avec la contraction énergétique, donner naissance des groupes de plus en plus en plus abondants "d'urbains désœuvrés", qui seront alors le terreau du désarroi puis de la violence ?"
Anne-Catherine Husson-Traore, directrice des publications de Novethic