Publié le 30 mai 2022
ÉCONOMIE
Asphalte, Les trois Tricoteurs, FashionCube... Ces entreprises qui adoptent la précommande, pilier de la mode responsable
Commander une pièce coup de cœur, puis attendre deux ou trois mois, le temps que le produit soit fabriqué. C'est ce qu'acceptent de faire de plus en plus de consommateurs contre la surproduction généralisée de la mode. Avec des atouts écologiques et économiques, la précommande prend une place stratégique chez les petites marques comme les grands du secteur.

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"Des bonnes fringues, point", clame dans son slogan Asphalte, précurseur en 2016 en France de la mode uniquement sur précommande. Son fondateur, William Hauvette, veut "rendre la qualité et l’éthique accessible au plus grand nombre". Le mode opératoire ? Produire uniquement à la demande afin d'éviter tout surplus inutile, quitte à faire attendre les clients pendant deux mois et demi. Aujourd'hui, les petites marques adeptes de ce système très "slow", aux antipodes du rythme effrené de Shein, ne se comptent plus : Réuni, Patine, Forlife...
Les entreprises mettent en avant les avantages écologiques face à l'impact négatif sur l'environnement du secteur. Si la loi "Anti-gaspillage pour une économie circulaire" (Agec) interdit de jeter des vêtements invendus depuis cette année 2022, une première mondiale, elles font le choix de prendre le problème à la source. La précommande met en effet un terme aux invendus, qui représentent encore 4 % du chiffre d’affaires des entreprises, selon l’Ademe.
"Des achats plus lucides et moins compulsifs"
L'avantage est aussi économique. Les entreprises réduisent leurs coûts de stockage et sécurisent leurs financements et leur marge grâce à l’avance faite par leurs clients. Un modèle qui favorise l’émergence de petites entreprises qui veulent se positionner sur une production éthique. Le "t-shirt ultime" d’Asphalte coûte ainsi 29 euros, plus cher que ceux d'H&M et Shein, mais qui permet de sélectionner des sous-traitants garantissant les droits humains.
"C’est l'abolition des soldes, qui dégradent la valeur perçue du vêtement et entraînent le secteur dans le gaspillage vestimentaire", décrypte Elisabeth Laville, directrice d’Utopies, cabinet de conseil en responsabilité sociétale des entreprises, pour qui la précommande présente une "vertu philosophique", celle de ralentir la mode et de "remettre la qualité au centre, avec des achats plus lucides et moins compulsifs".
Forlife, Réuni, Asphalte, ces trois marques emblématiques privilégient des pièces classiques et durables. Pour connaître les attentes des clients, la question leur est posée directement. Par exemple : quelle longueur de pantalon ? Quel col de chemise ? "Il y a un lien plus fort avec les marques. C’est un bon terreau pour faire passer des messages contre la fast-fashion, par exemple pour encourager l’entretien et prolonger la durée de vie", remarque la directrice d’Utopies. Pour gagner la confiance des consommateurs, la transparence est de mise. "Nous imposons une traçabilité totale dans la chaîne." indique le fondateur d’Asphalte.
Miser sur le circuit-court
Différents modèles de précommande existent, comme celui de la marque Almé, spécialisée dans l'inclusivité, qui promet des délais de livraison divisés par deux, soit environ cinq semaines au lieu de 10. Contrairement à Asphalte qui ne produit qu'une fois la période de précommande achevée pour garantir l'adéquation parfaite entre la demande et l'offre, Almé débute la fabrication en cours de précommande. "Tout se joue dans la première semaine. On analyse les ventes et si on n'atteint pas le seuil escompté, on ne fabrique pas la pièce", confirme le co-fondateur d'Almé. Dans ce cas, la précommande devient une stratégie marketing efficace qui réduit le risque d'invendus mais ne l'élimine pas.
Pour réduire le temps de livraison, des entreprises misent plutôt sur les circuits-courts. Le fabricant français Les Trois Tricoteurs, basé à Roubaix, vend ses produits en direct en produisant des pulls personnalisés à la demande. De son côté, le spécialiste des jeans Saitex, certifié B-Corp, ambitionne de créer douze nouvelles petites usines partout dans le monde pour diviser par trois le temps entre la production et la livraison. Une rapidité également facilitée par de l'automatisation de pointe.
Les grands groupes prennent aussi le pli. Le groupe Mulliez, qui possède notamment les enseignes Jules et Pimkie, a lancé l’usine FashionCube Denim Center dans les Hauts-de-France pour "ne produire que ce qui est vendu", en visant le zéro déchet. Les premiers jeans sont annoncés pour le deuxième semestre 2022 entre 40 et 60 euros.
Fanny Breuneval