Publié le 13 novembre 2023

ÉCONOMIE

Boycott de la COP28 : les entreprises françaises divisées sur leur présence à Dubaï

Faut-il boycotter la COP28 ? La question se pose de plus en plus distinctement chez un grand nombre d’entrepreneurs français. Pour 250 d’entre eux, la réponse est claire : ils n’iront pas. Un positionnement qui questionne à moins de trois semaines de l’ouverture de cette nouvelle conférence pour le climat, qui se tiendra cette année à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre.

COP28 UAE CCNUCC
250 entrepreneurs français ont appelé au boycott de la COP28 à Dubaï.
COP28 UAE CCNUCC

La COP est pleine. 250 chefs d’entreprises et responsables d’associations* appellent au boycott du prochain sommet des Nations unies sur le climat, qui se tiendra du 30 novembre au 12 décembre aux Émirats arabes unis (EAU), "cinquième plus gros émetteur de CO2 de la planète". Un événement qu’ils n’hésitent pas à qualifier d'"absurde" et de "dangereux", dans une tribune publiée dans les colonnes du Monde, le 30 septembre dernier.

Le président de la COP28, le très décrié Sultan Al Jaber compte pourtant sur le soutien des entreprises, et sur leur "état d’esprit" pour faire avancer les négociations. Dans un rare entretien, il a ainsi déclaré avoir "besoin d’un changement de cap majeur et d’un effort massif pour relancer le progrès, mais cela ne peut pas être fait par les gouvernements seuls". Pour l’homme qui cumule les fonctions de ministre de l’Industrie et des technologies des EAU et de patron de la compagnie pétrolière émiratie (Adnoc), le secteur privé doit aussi prendre sa part de responsabilité pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

La crainte d’une COP "caricaturale"

Ce double discours agace en France. "Il y a un véritable problème de crédibilité avec la tenue de cette COP à Dubaï", déplore auprès de Novethic, Nicolas Pereira, initiateur de la tribune et président du World Impact Summit. "Les dernières déclarations de son président sont des arguments d’une part pour dire qu’elle sera certainement sans résultat et d’autre part, il s’agira pour les Émirats arabes unis d’une opération XXL de greenwashing" dénonce-t-il.

Et pour cause : le pays serait sur le point d’annoncer la signature d’un contrat pour 30 ans entre le Libéria et la société Blue Carbon, fondée par la famille régnante, pour l’achat de droits sur un million d’hectares de forêt, soit 10% de la superficie du Libéria. L’objectif est de commercialiser des crédits carbone obtenus à partir de projets de conservation ou de reforestation. "Cette COP risque donc de tourner essentiellement autour de ces sujets de compensation alors qu’il faudrait fondamentalement traiter de la question de la réduction des énergies fossiles", explique l'entrepreneur.

La présence des entreprises au sein des COP n’est pas récente. Dès le premier sommet à Berlin en 1995, elles ont été conviées à prendre part aux négociations climatiques et leur poids n’a cessé d’augmenter depuis. Lors de la COP27 en Égypte, une large place leur a été donnée. 636 lobbyistes du secteur des énergies fossiles y ont ainsi été identifiés par les ONGs. "Cela marque aujourd’hui la limite du fonctionnement des COP", regrette Éric Duverger, fondateur et co-délégué de la Convention des entreprises pour le climat. Avec les autres signataires de la tribune, il appelle à "reconstruire ce grand rendez-vous".

Une absence contre-productive ?

Pour le président du Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D), Fabrice Bonnifet, le manque de crédibilité de cette édition est particulièrement déstabilisante pour les entreprises, avec le risque "de perpétuer la tradition mortifère et consentie du renoncement à agir".

Le boycott de la COP28 est toutefois loin de faire l'unanimité. "Ce serait irresponsable de notre part", réagit auprès de Novethic Ferréol Delmas, le directeur général du think tank "Écologie responsable". "Si nous laissons les pétroliers prendre la main sur ce rendez-vous, elle n’aura plus de sens, il faut au contraire accepter les règles du jeu", ajoute-t-il. Reprenant l’adage "les absents ont toujours tort", il espère inverser le rapport de force et pousser l’ensemble des entreprises à sortir des énergies fossiles, "certes pas du jour au lendemain".

À moins de trois semaines de son ouverture, les entreprises françaises restent donc divisées sur leur présence à la COP28. La "politique de la chaise vide" sera-t-elle un électrochoc suffisant ou tout juste un petit grain de sable dans l’engrenage bien huilé de la COP ? Les plus grandes d'entre elles seront en tout cas présentes à l'instar de TotalÉnergies, Vinci, ou encore Lafarge...

Blandine Garot

* Depuis la mise en ligne de la tribune le 30 septembre dernier, 70 nouveaux signataires ont rejoint "L’appel au boycott de la COP28 de 180 responsables d’entreprises". Au total, ils sont 250 à l’avoir signé.  vu.fr/Ikjt


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