Publié le 02 décembre 2022
ÉCONOMIE
Faire tomber les idoles de la tech est-il une première étape pour construire des modèles durables ?
Elon Musk, Mark Zuckerberg, ou Jeff Bezos ont longtemps été des icones montrées en exemple dans le monde entier pour les innovations technologiques qui les ont rendus multimilliardaires. Ces hommes présentés comme des super-héros, sont les figures du "techno-solutionnisme" qu’incarnent leurs entreprises, de Tesla au Métavers. Pourtant leur désastreuse image sociale, alliée à des contre-performances boursières spectaculaires, mettent à mal leurs légendes et permettent, peut-être, d’écrire de nouveaux récits.

@ACHT
Elon Musk, Mark Zuckerberg et Jeff Bezos, trois hommes qui valent des milliards. Pourtant leur palmarès actuel est plutôt nourri de contreperformances boursières et de brutalité sociale. Elon Musk, avec le rachat de Twitter, est passé du statut de génie visionnaire à patron brutal virant en une nuit la moitié des salariés de l’entreprise dont il venait de prendre possession.
Il s’est rapproché de l’extrême droite américaine et des vérités alternatives et affiche, sur son réseau, une photo de sa table de nuit où trônent un revolver et des canettes vides de soda sans sucre. Cette descente d’image trouve un écho dans la décroissance de l’action de son entreprise emblématique, Tesla : -46,15 % sur un an !
Dégringolade des actions en Bourse
Mark Zuckerberg a une image sulfureuse depuis plus longtemps. Les révélations de la lanceuse d’alerte Frances Haugen ont mis à jour la face sombre du réseau d’influence planétaire, entre Facebook mis au service des vérités alternatives qui font basculer les scrutins, de l’Europe au Brésil en passant par les Philippines, et Instagram qui fragilise la génération Z. Le patron de Meta espérait redorer son image avec la grande campagne de promotion lancée dans toute l’Europe en septembre. Message : même si le métavers est virtuel son impact bienfaiteur pour la santé et l’éducation sera réel. Patatras : l’action de Meta a perdu 61,2% de sa valeur sur un an et Facebook a annoncé, en novembre, qu’elle allait licencier 11 000 personnes, 3 % de ses effectifs !
Jeff Bezos de son côté est arrivé second au classement de pire patron du monde établi par la conférence syndicale internationale. Les salariés d’Amazon sont le symbole des cadences infernales auxquelles sont soumises les soutiers de l’économie digitale et 1% d’entre eux seront bientôt licenciés dans le plus vaste plan social de l’histoire d’Amazon : 10 000 personnes. Son cours de bourse, lui, a déjà été divisé par deux ou presque : -44,4 % sur un an !
Les trois hommes valent toujours des milliards. Mais, en revanche, les colossaux impacts négatifs sociaux, environnementaux et éthiques des choix qu’ils font pour leurs entreprises, dont ils gardent le contrôle, viennent contrebalancer le mythe des superhéros venus sauver le monde avec des innovations technologiques. Pour les défenseurs d’une économie basée sur des modèles durables, respectueux de la planète et des humains, il faudrait accélérer le mouvement et faire une croix sur ces idoles au modèle dépassé.
Défendre des modèles alternatifs
C’est ce que souligne Imagine 2050 dans la conférence que l’organisation a lancée pour les leaders culturels. Elle montre ainsi que ces emblèmes du techno-solutionnisme sont dangereux. C’est aussi la thèse défendue par le film Dont Look up, grand succès du début 2022, à travers le personnage fictif de Peter Isherwell. Ce génie milliardaire de la tech propose de laisser l’astéroïde qui va détruire la terre, suivre sa trajectoire en promettant de le fracturer avant le choc. Il espère ainsi récupérer les minerais précieux qu’il contient pour les exploiter. Son plan machiavélique va échouer et les humains en paieront le prix.
Cette métaphore est importante pour les défenseurs de modèles alternatifs. Imagine 2050 l’utilise entre autres pour "ouvrir la réflexion sur des nouveaux récits capables d'accélérer la transformation de notre société vers des futurs souhaitables". D’autres, comme Aurélien Barreau, aimeraient pulvériser les destructeurs. Dans une conférence "Café frappé" donnée à Centrale Supélec le 14 novembre dernier, il a dénoncé "le monde d'Elon Musk" précisant, lui qui est astrophysicien, "celui où les satellites artificiels trônent dans un ciel dévasté, je le vomis, je l'exècre. Pour moi c'est une dystopie absolue".
Il a ajouté : "je vous rappelle quand même que c'est l'homme qui tente de nous faire croire qu'une automobile de 2 tonnes avec 500 kilos de batterie c'est un objet écologique". Il conclut que le monde selon Musk "c’est aussi celui qui prépare, en le testant sur des singes qui pour la plupart meurent dans d’atroces souffrances, des systèmes d’électrodes à implanter dans nos cerveaux de façon que nous puissions jouir d’expériences virtuelles, de balades dans des forêts numériques quand la cible réelle aura été totalement dévastée". Sa conférence devait répondre à la question : "A-t-on encore besoin d’ingénieurs ?" La réponse est donc oui, bien sûr. Mais, si l’on veut un monde durable, ils ne doivent pas être inspirés par le monde selon Musk.
Anne-Catherine Husson-Traore, directrice générale de Novethic, @AC_HT_