Le charbon, que l’on pensait mort à la faveur des engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris, est-il en train de connaître un nouveau règne dopé par l’intelligence artificielle ? Pour faire tourner leurs modèles, les géants du numérique ont en effet besoin d’une électricité abondante et bon marché. Si beaucoup à l’instar de Microsoft, Meta ou Amazon misent sur le nucléaire à moyen-terme, dans l’immédiat ils sont obligés de se tourner vers les énergies fossiles, le gaz mais aussi le charbon, énergie la plus émettrice de CO2.
Pour tenter de gagner cette course effrénée à l’IA, le président Donald Trump les accompagne en levant les obstacles à la croissance de la production électrique du pays. C’est devenu une des priorités de l’administration américaine. Celle-ci vient ainsi d’appeler les fournisseurs d’électricité à prolonger la durée de vie de leurs centrales à charbon, souvent vieilles d’un demi-siècle. Plus d’une trentaine de centrales à charbon devaient fermer aux Etats-Unis d’ici la fin du mandat de Trump.
Course à l’intelligence artificielle
En début de semaine, le ministère de l’Energie a ainsi dévoilé un programme d’investissement de 625 millions de dollars pour moderniser ces centrales à charbon vieillissantes. Il prévoit aussi d’ouvrir des millions d’hectares fédéraux à l’extraction de charbon et d’alléger les réglementations environnementales sur l’activité des centrales électriques à charbon. “Le charbon, propre et de qualité, sera un combustible essentiel de la réindustrialisation des Etats-Unis et un atout clé pour remporter la course à l’intelligence artificielle”, a estimé Chris Wright, le secrétaire à l’Énergie.
Le 22 septembre dernier, la multinationale américaine des puces électroniques Nvidia a annoncé qu’elle allait investir 100 milliards de dollars dans la construction de centres de données géants pour OpenAI, le leader de l’intelligence artificielle (IA) générative. Ce partenariat vise à déployer au moins 10 gigawatts (GW), ce qui représente environ la puissance moyenne de dix réacteurs nucléaires en France.
Selon l’Energy Information Administration, la demande totale d’électricité aux États-Unis devrait atteindre des niveaux records cette année et celle d’après. Cette croissance va s’accélérer jusqu’à la fin de la décennie, avec la mise en service de vastes campus de centres de données d’IA. Chris Wright estime que les États-Unis auront besoin de 100 gigawatts supplémentaires de capacité de production fiable au cours des cinq prochaines années.
“Relance massive des fossiles”
Dans un rapport publié le 1er octobre, le Shift Project estime qu’au niveau mondial, la consommation électrique des data centers pourrait atteindre 1 250 à 1 500 térawattheures (TWh) en 2030 contre 530 TWh en 2023. Ce triplement sera en très grande partie porté par l’essor de l’intelligence artificielle, qui représentera de 35% à 55% de la consommation électrique de ces centres de données, contre 15% aujourd’hui, toujours selon le rapport.
Et comme le confirme le Shift, la réponse immédiate à la hausse de cette demande énergétique passe par “une relance massive des infrastructures fossiles”, en gaz mais aussi en charbon. L’entreprise américaine First Energy a ainsi déjà annulé la fermeture programmée de deux centrales à charbon, qu’elle prévoit désormais d’exploiter jusqu’en 2035-2040. Selon l’Agence internationale de l’énergie, la demande énergétique au sein de la filière engendrera annuellement l’ajout de nouvelles capacités à hauteur de 3,3 GW de gaz et 1,5 GW de charbon entre 2024 et 2030 et les énergies fossiles assureront encore environ 40% de la consommation électrique des data centers en 2035.
Face à cette “dérive climatique”, le Shift appelle à planifier le développement de l’IA en les intégrant dans les scénarios de référence, par exemple en France dans la Stratégie nationale bas-carbone, et en fixant des plafonds à ne pas dépasser. Le think tank prône également une révision des usages de l’IA au cas par cas “afin d’identifier et de prioriser uniquement les applications compatibles avec les trajectoires climatiques des organisations et abandonner les solutions d’IA ne pouvant être rendues compatibles avec la contrainte carbone”. Un discours de sobriété qui va avoir du mal à s’imposer.