Publié le 15 décembre 2023
Pour la première fois, le virus de la grippe aviaire sévit au large de l'Antarctique. En cause : l'élevage intensif qui favorise la grippe aviaire ainsi que la mondialisation qui fait circuler le virus. Les scientifiques craignent de faire face à "l’une des plus grandes catastrophes écologiques".  

Alors que la grippe aviaire est de retour en France, et ce pour la septième fois depuis 2015, ce virus hautement pathogène H5N1 sévit en parallèle de l’autre côté de l’Atlantique. Détecté en Amérique du Sud en octobre 2022, il a atteint il y a quelques semaines à peine la région antarctique, sous le regard inquiet des scientifiques.  Et pour cause :  des morts massives d’éléphants de mer, ainsi qu’une hausse des décès chez les otaries à fourrure, les goélands ou encore les labbes bruns ont été signalés à 1 500 kilomètres à l’ouest de la Géorgie du Sud et sur les îles Falkland, au large du continent blanc. "Il est probable qu’il s’agisse de la grippe aviaire", a expliqué au Guardian la présidente du Réseau santé Wildlife en Antarctique, Dr Meagan Dewar.


Des chercheurs du British Antarctic Survey avaient signalé quelques semaines auparavant dans un communiqué en date du 23 octobre qu’un variant du virus de la grippe aviaire, hautement pathogène, avait été détecté, et ce pour la première fois sur l’île Bird, dans l’archipel de la Géorgie du Sud. Ce lieu est réputé pour sa foisonnante biodiversité, et pour sa densité de population aviaire, très certainement responsable de la circulation de ce virus depuis l’Amérique du Sud. Depuis 2022, cette épidémie circule à la fois chez les oiseaux sauvages et domestiques, en suivant les couloirs migratoires et les routes commerciales.

Une "mondialisation de nos modes de consommation"


"Mais la nouveauté de cette année, c’est que le virus s’est propagé dans l’hémisphère Sud, certainement en raison de la mondialisation de nos modes de consommation", signale Olivier Chastel, chercheur au CNRS à Libération. Apparue dans les années 1990 en Asie, la grippe aviaire est un virus qui touche essentiellement les oiseaux et qui change normalement très peu d’hôtes. Mais l’élevage intensif a changé la donne et provoqué une accélération de la contamination et sa diffusion à d’autres espèces. Et cette crise est sans précédent en Amérique latine car c’est la première fois en vingt ans que la grippe aviaire gagne cette partie du monde. "La contamination est aujourd’hui extrême", a alerté Jean-Pierre Vaillancourt, professeur à la faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal. 
Mais au-delà de la diffusion du virus chez les oiseaux domestiques, c’est la mortalité massive parmi les mammifères sauvages qui est également pointé du doigt. Près de 500 000 oiseaux et 20 000 lions de mer ont déjà succombé au Pérou et au Chili , selon un décompte tenu par des chercheurs du Comité scientifique pour la recherche antarctique (Scar). "Des mortalités aussi importantes n’avaient jamais été observées chez des mammifères marins", note auprès de Novethic Marion Vittecoq, directrice de recherche en écologie de la Santé à la Tour du Valat.  Alors que l’impact exact du virus sur ces populations n’est pas encore connu, les chercheurs s’inquiètent en effet d’un éventuel "échec catastrophique de la reproduction", surtout que "certaines espèces sur ces îles antarctiques ou subantarctiques y sont spécifiques et ne comptent qu’un faible nombre d’individus", explique dans le New Scientist Thijs Kuiken, professeur en pathologie comparée et maladies émergentes à l’université de Rotterdam.

Une région déjà sous pression


Jusqu’à présent préservée, la faune de ce continent blanc sera particulièrement vulnérable à ce virus hautement pathogène. Et les scientifiques sont particulièrement inquiets pour les communautés de manchots présentes, déjà sévèrement menacées par la crise climatique. "S’il s’avère que ces espèces sont infectées, elles risquent de ne pas s’en relever", confie la chercheuse française Marion Vittecoq. "Ce sont des espèces déjà soumises à de fortes pressions extérieures, allant du manque de nourriture, ou à la disparition de leur habitat". À l’image du manchot d’Adélie, emblématique de la région, qui a vu 90% de sa population disparaître à cause de la fonte des glaces et de la contraction des glaciers.
Or, il ne s’agit plus que d’une question de jours malgré la fermeture de nombreux sites touristiques ou les précautions prises par les chercheurs pour limiter les risques. "Si ce virus commence à provoquer une mortalité de masse dans les colonies de manchots, préviennent les chercheurs dans un article publié le 24 novembre, cela pourrait être le signe de l’une des plus grandes catastrophes écologiques des temps modernes".
Blandine Garot

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