S’il fallait une preuve supplémentaire que le réchauffement climatique a un impact sur la biodiversité, la voici : "Des ours ont été aperçus en train de se promener dans un état second un mois après la date à laquelle ils entrent habituellement en hibernation", peut-on lire dans un communiqué du département pour la protection de la faune de la région de l’Amour. Cette situation plus qu’inhabituelle a eu lieu en Sibérie, à la fin du mois de novembre.
Mais phénomène encore plus surprenant, cette anomalie comportementale ne concernerait que les mâles. Les femelles, quant à elle, resteraient avec leurs petits dans leur tanière, et ce depuis le mois d’octobre, date à laquelle ces plantigrades sont censés hiberner. Ou plutôt hiverner. Car contrairement aux marmottes ou aux hérissons, les ours ne sont pas de véritables hibernants, c’est-à-dire qu’ils n’entrent pas dans un total état léthargique.
Des ours insomniaques à cause des températures trop élevées
Selon les scientifiques, cet agissement s’expliquerait par les températures anormalement élevées pour la saison relevées dans cette région sibérienne. Les températures moyennes ont dépassé au mois d’octobre les normales de saison de +1,5 à +2°C. Par exemple, à de Blagovechtchensk, capitale administrative de l’oblast de l’Amour, octobre a été le mois le plus chaud jamais enregistré.
Mais au-delà de ces températures inhabituelles qui retarderaient leur hivernation, celles-ci rendraient également leurs tanières inhospitalières. Selon le zoophysiologiste et professeur à l’Institut de biologie arctique à l’Université d’Alaska Fairbanks, Oivind Toien, interrogé par Newsweek et repris par Géo,"des températures supérieures à 0 dans des conditions de neige humide pourraient faire pénétrer l’eau de fonte dans les tanières, rendant ainsi inconfortable le séjour des ours".
Vers la fin de l’hivernation ?
Cet étrange comportement soulève toutefois de très nombreuses questions chez les scientifiques et experts de la faune sauvage, puisque la hausse des températures causée par le changement climatique pourrait perturber le cycle naturel de ces animaux hivernants. D’autres cas similaires ont d’ailleurs déjà été signalés en Alaska, au Japon ou encore aux États-Unis. En 2015 déjà, dans le parc de Yellowstone, un premier grizzly a été aperçu le 11 février, alors qu’ils sortent habituellement plutôt vers la mi-mars, voire avril-mai pour les femelles.
Ce changement de comportement n’est d’ailleurs pas sans conséquence pour l’espèce et pour son environnement. Affamés de cette plus courte hivernation, les ours peineraient à trouver suffisamment de nourriture et se rapprocheraient alors des habitations, comme c’est actuellement le cas au Japon. Entre début avril et fin octobre, le pays a fait état de 159 attaques contre 69 l’année précédente. Les autorités nippones expliquent que cette augmentation est liée au dérèglement des saisons, qui empêche aujourd’hui les ours de se nourrir correctement avec ce dont ils ont besoin pour passer l’hiver. Et à terme, le risque serait que ces plantigrades n’hivernent plus du tout. Ainsi, l’ours est devenu malgré lui l’un des indicateurs visibles du dérèglement climatique en cours.
Blandine Garot