Publié le 22 août 2024

260 euros pour les plus pauvres. C’est la somme que va verser la Thailande à ses habitants les plus précaires, avec l’obligation de la dépenser chez les commerçants locaux. Un dispositif de “monnaie hélicoptère” inédit qui “relance la consommation, sans tomber dans le consumérisme”.

Le gouvernement thaïlandais a lancé un vaste programme de relance de la consommation pour les populations les plus pauvres. Depuis le premier août et jusqu’à mi-septembre, les Thaïlandais éligibles peuvent télécharger une application de portefeuille numérique sur laquelle 10 000 baht (un peu plus de 260 euros) seront versés d’ici la fin de l’année, soit plus de la moitié du salaire mensuel moyen. Le programme devrait coûter en tout plus de 11 milliards d’euros, financé sur le budget de l’Etat, en ciblant autour de 45 millions de personnes à faible revenu.

En distribuant directement de l’argent aux citoyens, les autorités thaïlandaises mettent en œuvre une forme de monnaie hélicoptère afin de soutenir son économie. La théorie de la monnaie hélicoptère repose en principe sur le fait pour une banque centrale de créer de la monnaie et de la distribuer en direct aux agents économiques (entreprises ou ménages). Un peu à la manière des “quantitative easings” ayant eu lieu suite à la crise financière de 2008 ou à la pandémie, ces assouplissements monétaires qui permettent d’injecter de l’argent frais dans l’économie mais toujours par l’intermédiaire des banques.

Plusieurs conditions et exclusions

L’idée thaïlandaise ressemble à d’autres initiatives de “monnaie hélicoptère”, telle celle prise par le gouvernement américain de distribuer 1200 euros aux ménages américains pour stimuler la croissance après la pandémie de Covid-19. Mais le gouvernement, mené par la nouvelle Première ministre Paetongtarn Shinawatra, a choisi d’assortir son dispositif de plusieurs conditions, notamment de revenus et de patrimoine, et d’exclusions. Les biens tels que l’alcool, le tabac, les bijoux, le appareils électroniques, l’essence et le gaz ne pourront pas être achetés avec cette monnaie électronique.

De même, le portefeuille numérique, qui sera crédité au cours du dernier trimestre 2024, ne permettra d’acheter que des biens locaux. Les bénéficiaires ne pourront faire leurs courses qu’auprès de petits commerçants ou de fermiers inscrits sur la plateforme, la grande distribution et les centres commerciaux en étant exclus. “C’est une bonne initiative qui peut permettre de relancer la consommation, sans tomber dans le consumérisme”, remarque Jean-Christophe Duval, chercheur en économie écologique et fondateur de Nemo IMS, une initiative pour réformer les institutions monétaires.

Une monnaie numérique valable six mois

Le portefeuille numérique ne sera en outre valable que pour une durée de six mois, au-delà desquels l’argent non dépensé sera retiré. Un moyen d’éviter que les citoyens n’épargnent l’argent plutôt que de le réinjecter dans l’économie du pays. Le fait d’avoir opté pour une monnaie digitale, plutôt qu’une monnaie traditionnelle, marque aussi un certain rapprochement avec les projets de création de monnaies numériques de banque centrale (Central bank digital currency, CBDC). La banque centrale de Thaïlande a testé une CBDC pour les particuliers entre 2022 et 2023, dans l’idée de faciliter les échanges monétaires et l’inclusion financière. Le gouvernement en reprend donc les conclusions à son actif.

Cette initiative permettra-t-elle de véritablement transformer le pays ? La banque centrale de Thaïlande s’était révélée critique, estimant que la consommation n’avait pas réellement besoin d’être relancée et que le projet risquait de peser trop lourd sur les finances publiques. Les dispositifs de monnaie hélicoptère sont par ailleurs souvent critiqués parce qu’ils risquent de relancer l’inflation. Un sujet que Jean-Christophe Duval balaie, la banque centrale pouvant agir sur les taux pour l’éviter.

L’économiste regrette cependant que le projet n’aille pas plus loin et reste inscrit dans le système monétaire traditionnel. “Cela n’est pas suffisant, tranche-t-il. Il faudrait pouvoir créer une monnaie sans dette, dont la contrepartie est écologique ou sociale“. La théorie, défendue notamment par l’économiste Jézabel Couppey-Soubeyran dans son livre “Le pouvoir de la monnaie”, vise à réformer la manière de créer de la monnaie. Celle-ci ne serait plus seulement adossée à des prêts financiers, mais plutôt à des projets bénéficiant au bien commun.

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