Publié le 07 février 2020

FINANCE DURABLE

Les pétroliers versent aux investisseurs des dividendes bien au-delà de le leurs moyens

Les majors pétrolières vivent bien au-dessus de leurs moyens, selon une étude de l’institut d’analyse économique et financière de l’énergie. Malgré un poids dans l’économie qui ne cesse de décroître, elles versent tous les ans de généreux dividendes à leurs actionnaires, qui dépassent largement leur trésorerie disponible. Face à la méfiance des investisseurs, qui craignent le risque d’actifs échoués, les compagnies pétrolières préfèrent donc s’endetter pour conserver leurs actionnaires.

ExxonMobil Australia
Les compagnies pétrolières doivent s'endetter ou céder des actifs tous les ans pour verser de généreux dividendes, selon une étude de l'IEEFA.
@Exxon

Plus une entreprise gagne d’argent, plus elle pourra payer des dividendes à ses actionnaires. Ce principe classique de l’économie de marché est battu en brèche par les grandes compagnies pétrolières. Selon une étude réalisée par l’Institute for Energy and Financial Analysis (IEEFA, Institut de l’analyse économique et financière de l’énergie), cinq des plus grandes majors du pétrole versent plus de dividendes qu’elles ne génèrent d’argent.

L’étude, intitulée "Living beyond their means" (ils vivent au-dessus de leurs moyens), montre qu’entre 2010 et 2018, ExxonMobil, BP, Chevron, Total et Shell ont versé en tout 536 milliards de dollars de dividendes à leurs actionnaires. Mais, sur la même période, ces cinq entreprises n’ont généré que 329 milliards de dollars de flux de trésorerie disponible. Pour combler l’écart de 207 milliards de dollars, ces cinq majors ont eu recours soit à l’endettement, soit à la vente d’actifs.

L’étude de l’institut américain reflète en fait le déclin progressif du secteur des énergies fossiles, autrefois industrie majeure tirant l’économie mondiale. Selon Bloomberg, la part du secteur de l’énergie dans le S&P 500, l’indice phare américain, est tombée sous les 4 % fin janvier. Une chute dans l’indice phare américain, qui semble inexorable depuis 2009-2010.

Secteur sous pression

Les investisseurs craignent une perte de valeur des actifs des pétroliers du fait de l’évolution du marché. De plus en plus de pays prennent des engagements pour réduire leur empreinte carbone et poussent des secteurs, comme l’automobile, à se passer des énergies fossiles. Le modèle économique de ces entreprises s’en trouve donc fortement abîmé et le risque de voir des actifs échoués dans leurs portefeuilles devient de plus en plus fort. Plusieurs compagnies pétrolières ont même dû déprécier récemment certains de leurs actifs.

Le seul moyen que trouvent les grandes majors pour continuer d’attirer les investisseurs, consiste donc à leur verser de généreux dividendes, quitte à ce qu’ils soient décorrélés de la performance économique réelle de l’entreprise. Le paiement des dividendes ne serait donc qu’un pansement sur un "secteur en désarroi", selon Tom Sanzillo, co-auteur de l’étude et directeur pour la finance de l’IEEFA.

"Les majors pétrolières sous-performent constamment le marché et elles semblent penser que les actionnaires ne le remarqueront pas tant qu’elles versent de généreux dividendes", explique-t-il. Même la remontée du prix du baril ne suffit pas à rééquilibrer la balance. Selon l’IEEFA, les prix élevés en 2013 et 2014 ont simplement poussé les pétroliers à augmenter encore plus la distribution de dividendes ces années-là.

ExxonMobil est celui dont l’écart entre les dividendes versés et les flux de trésorerie disponibles est le plus grand, avec 64,5 milliards de dollars. C’est aussi l’une des majors les moins engagées dans la transition énergétique, elle a même fait face à un procès pour avoir menti à ses investisseurs sur la réalité du changement climatique. Les dividendes versés par le pétrolier américain n’ont cessé de croître depuis 37 ans. Et l’écart devrait encore se creuser cette année, vu qu’Exxon prévoit encore d’augmenter les versements aux actionnaires, malgré des résultats insatisfaisants. Il devrait ainsi couvrir 64 % des dividendes versés au titre de l’année 2019 avec de l’endettement ou des cessions d’actifs, contre 30 % en moyenne depuis 2010.

Arnaud Dumas, @ADumas5


© 2023 Novethic - Tous droits réservés

‹‹ Retour à la liste des articles


Découvrez l'Essentiel de la Finance Durable


Pour aller plus loin

Repsol, Chevron, BP, les majors pétrolières touchées au portefeuille par le risque d’actifs échoués

Trois grands groupes pétroliers ont dû dévaloriser des actifs pétroliers et gaziers ces derniers mois. Le risque de "stranded assets", ces projets liés aux énergies fossiles qui perdent de la valeur du fait du changement climatique, se matérialise dans les comptes de ces grandes majors....

Le gendarme américain de la bourse autorise ExxonMobil à faire l’impasse sur le risque climatique lors de son Assemblée générale

Aller à contre-courant du sens de l’histoire. Telle est le fond de la décision prise par la SEC. Alors que des actionnaires voulaient une nouvelle fois mettre le climat à l’agenda de l’Assemblée générale d’ExxonMobil, le gendarme de la bourse a autorisé le pétrolier à écarter leur...

Procès pour fraude climatique : Exxon remporte la première manche

Après près de quatre ans de procédures, la justice américaine vient de trancher : ExxonMobil n’a pas dupé ses actionnaires sur le vrai coût du changement climatique. Une victoire qui pourrait faire date pour le pétrolier, traîné en justice par plusieurs collectivités américaines sur...

La Norvège recule sur la sortie du pétrole de son fonds souverain

Il y a deux ans, le fonds souverain norvégien a marqué les esprits en annonçant un désinvestissement des hydrocarbures, un message fort venant du fonds qui a bâti sa richesse sur le pétrole de la mer du nord. Mais le plan final qui se dessine ne concernerait que 5,7 milliards de dollars...

FINANCE DURABLE

Finance durable

La finance durable est un pan de la finance qui s’attache à prendre en compte des critères ESG, c’est-à-dire liés à l’environnement, au social et à la gouvernance. La finance durable regroupe l’ISR (investissement socialement responsable), la finance solidaire, la finance verte et plus généralement de l’investissement responsable.

Climate finance day activistes Eric PIERMONT AFP

Climate Finance Day (2015-2021), histoire d’une époque qui s’achève

Depuis 2015, la place financière de Paris organise un événement annuel en lien avec les COP sur le climat : le Climate Finance Day. À vocation internationale, il réunit des dirigeants de grandes institutions financières pour qu’ils y fassent des annonces sur leurs engagements de lutte contre le...

Froid texas Ron Jenkins GETTY IMAGES NORTH AMERICA Getty Images via AFP

Le coût des catastrophes naturelles atteint des sommets... et inquiète les assureurs

Les événements climatiques du premier semestre 2021 auront causé près de 40 milliards de dollars de dommages assurés, selon une étude de Swiss Re. L’enchaînement de tempêtes, inondations, grêle, etc., en raison du dérèglement climatique fait monter le prix de ces catastrophes naturelles, qui...

Paiement monnaie CCO

Le jour où les citoyens ont imposé les monnaies locales en Europe

Dans les années 2020, les citoyens ont décidé de reprendre en main la finance, en se réappropriant leur monnaie. Les systèmes de paiement locaux se sont multipliés, puis généralisés, au point qu’en 2033, les banques centrales ont décidé d’intervenir pour valider et régulariser les monnaies locales....

Banque centrale europenne Christine Lagarde Martin Lamberts ECB

La Banque centrale européenne va prendre en compte la surchauffe climatique

Dôme de chaleur en Amérique du Nord et gouttes froides en Europe matérialisent le risque climatique. Il pèse sur les entreprises sans qu’on sache très bien comment, à l’exception du secteur pétrolier. Pour le savoir la Banque centrale européenne dirigée par Christine Lagarde a annoncé, à la surprise...