Publié le 31 janvier 2018
FINANCE DURABLE
Finance durable : ce qu’il faut retenir sur le rapport du groupe de haut niveau européen
Après un an de travaux, les 20 membres du groupe d’experts sur la finance durable (HLEG) créé par la Commission européenne fin 2016, publient leurs recommandations dans un rapport d’une centaine de pages. Ces recommandations visent non seulement à développer la finance verte mais aussi à faire de la finance durable le cadre de référence de l’Europe en termes de régulation comme de fonctionnement des marchés.

Pour l’aider à développer la finance durable, avec un cadre de référence établi, la Commission européenne a créé un groupe d’experts de haut niveau sur la finance durable le 22 décembre 2016. Après un an de travaux, celui-ci a rendu ses recommandations le 31 janvier. Elles doivent servir de base à la Commission pour son plan d’action sur la finance durable.
Le Contexte : faire de la finance durable un atout de compétitivité et de crédibilité
La Commission européenne doit annoncer un plan d’action sur la finance durable en mars prochain. Objectif: "encourager la finance verte dans toute la chaîne d'investissement et changer l'état d'esprit de ceux qui gèrent notre argent", selon le vice-président de la Commission européenne en charge de l'euro, Valdis Dombrovskis.
L’enjeu est à la fois politique et économique dans la mesure où, 10 ans après la crise financière, l’Europe voudrait faire de la finance durable un atout de compétitivité et de crédibilité en montrant sa capacité à mettre en place des modèles qui protègent les citoyens européens.
Aujourd’hui pourtant, le développement de la finance durable est très inégal en Europe. Elle est très présente dans un axe qui va de la Scandinavie à la France en passant par les Pays-Bas. Mais elle est proportionnellement peu développée en Allemagne et quasi absente à l’est et au sud de l’Europe.
Les recommandations phares : transparence, standardisation et labellisation
Le rapport met en lumière le rôle clé de la finance pour assurer la transition vers une économie plus durable. Il est irrigué par 2 lignes directrices : la prise en compte du long terme et de la dimension extra-financière (ESG) dans l’analyse et les décisions financières. Trois recommandations phares sont faites pour mieux flécher les investissements vers une économie plus soutenable.
Transparence. L’objectif est d’améliorer la qualité, la pertinence et la fiabilité des données ESG - particulièrement climatiques - fournies par les acteurs économiques. Pour cela, le rapport suggère à la Commission d’intégrer les lignes directrices de la TCFD (Task Force on Climate Disclosure) qui font aujourd’hui référence au niveau mondial sur la transparence financière liée au risque climatique . Les experts suggèrent aussi de prendre des mesures dans la lignée de l’article 173 de la loi de transition énergétique française (voir l’étude de Novethic). Celle-ci fait en effet figure de loi pionnière pour aider les acteurs économiques et financiers à mieux rendre compte de la façon dont ils intègrent le risque climat dans leur stratégie.
Ex: le rapport recommande un reporting climat pour les investisseurs institutionnels qui a vocation à devenir obligatoire en Europe d’ici 2020 et de rendre explicite le scénario climatique aujourd’hui caché dans chacun des indices utilisés par les produits financiers (comme le CAC40 en France).
Taxonomie. L’objectif est d’établir une classification claire sur les investissements "durables" et ceux qui ne le sont pas. Celle liste fera référence pour établir de nouveaux standards européens, par exemple pour les labels de fonds, les green bonds ou encore le "green supporting factor" bancaire (moindre pénalisation prudentielle). Une taxonomie de ce genre est déjà utilisée pour certains labels, comme le label TEEC français qui distingue les fonds orientés vers la transition énergétique et dont Novethic est auditeur. La première version concernera les activités favorisant la lutte contre le changement climatique et le respect des 2 degrés prévus par l’Accord de Paris. Trois secteurs sont identifiés comme prioritaires : l’énergie, les transports et l’agriculture.
Ex: Cette classification permettra par exemple d'établir un standard européen en matière de green bonds que le rapport recommande.
Labellisation. L’un des objectifs est d’étoffer l’offre de produits financiers verts mais aussi de les rendre plus visibles et plus crédibles auprès des épargnants européens. Pour cela le groupe recommande la création d’éco-label européen dès 2018. En France, Bruno Le Maire a annoncé le même type d’initiative avec la généralisation d’une offre verte labellisée dans les contrats d’assurance vie en France, lors du Climate Finance Day, le 11 décembre 2017. Actuellement, les fonds thématiques destinés à financer la transition européenne sont peu développés. Selon une étude de Novethic, on compte 165 fonds de ce type en mars 2017, représentant 22 milliards d’euros.
Ex: le rapport recommande de créer une obligation pour les acteurs financiers de demander à tous les clients individuels qui cherchent un produit d’épargne leur préférence en matière de développement durable.
La portée du rapport : une feuille de route pour aligner l’économie sur la trajectoire 2°C
Avant même la publication du rapport, la Commission a d’ores et déjà suivi quelques recommandations, autour de la responsabilité des investisseurs (ex: le rapport propose aussi d'intégrer des enjeux de soutenabilité dans la responsabilité juridique des investisseurs) et du périmètre de supervision des autorités de régulation financière. Il s’agit d’intégrer la dimension ESG (environnement, social et gouvernance) dans les mandats. L’objectif est de faire de ces critères des éléments discriminants d’analyse des politiques de gestions de risques et des divers modèles utilisés dans la gestion financière, ainsi que des stratégies d’investissement proposées aux clients.
Lors de la publication du rapport, la Commission a salué le travail du HLEG qui "a largement dépassé les attentes". Reste à savoir jusqu’où elle intégrera les recommandations du groupe d’experts dans son plan d’action sur la finance durable, prévu pour être dévoilé en mars.
La parole aux membres du HLEG
Le groupe est constitué de 20 membres issus du secteur financier, de la société civile et du monde académique avec des observateurs des institutions européennes et internationales.
On compte quatre membres français: Anne-Catherine Husson-Traore, DG de Novethic; Pascal Canfin, DG du WWF France; Philippe Zaouati, DG de Mirova et président de Finance for Tomorrow; et Stanislas Dupré, DG de 2° investing initiative.
"Le rapport est la reconnaissance que, pour être soutenable, l’écosystème économique et financier doit changer et mieux prendre en compte le long terme et un champ plus large, intégrant notamment les dimensions environnementales et climatiques. En 2015, il y a eu l’accord de Paris; en 2016, son entrée en vigueur; en 2017, la création du groupe d’experts de haut niveau sur la finance durable. En 2018, si la commission endosse nos recommandations, nous donnons l’espoir que 2020 sera l’année de la mise en œuvre", veut croire Christian Thimann, le président du groupe d'experts de haut niveau (HLEG) et directeur de la stratégie et des affaires publiques du groupe Axa.
"Nos recommandations ont l’ambition de proposer beaucoup plus que le seul développement de la finance verte. Nous essayons de montrer l’impérative nécessité de construire des modèles plus durables, non seulement pour les investisseurs mais aussi et surtout pour les entreprises dont ils sont actionnaires. Pour les construire il faut disposer d’informations pertinentes, fiables et comparables sur les risques environnementaux et sociaux auxquels ils sont exposés, climat en tête parce qu'il s'agit de risque économiques. Nous pensons qu’il s’agit d’un atout de compétitivité majeure pour les entreprises qui suivront ces recommandations", affirme Anne-Catherine Husson-Traore, DG de Novethic et membre du HLEG.
"Le rapport a été élaboré de façon vraiment inclusif. Il fournit probablement la feuille de route la plus ambitieuse au monde pour mettre l’écosystème financier et l’Europe en ligne avec la trajectoire 2° de l’accord de Paris. Mais aussi, plus largement, pour le transformer en profondeur, dans une optique plus durable", souligne de son côté Pascal Canfin, DG du WWF France et membre du HLEG.