Publié le 09 février 2021
ENTREPRISES RESPONSABLES
Les députés européens préparent un texte ambitieux sur le devoir de vigilance, qui crispe le patronat
La commission des affaires juridiques du Parlement européen a validé un projet d’initiative sur le devoir de vigilance. Celui-ci doit alimenter les travaux de la Commission qui veut mettre en place une législation européenne contraignant les entreprises à mieux contrôler leur chaine d’approvisionnement pour éviter les impacts négatifs sur l’environnement et les droits humains. Le texte, ambitieux, réveille l’opposition du patronat.

@jauhari1
C’est un nouveau pas qui vient d’être franchi dans l’élaboration d’une législation européenne sur le devoir de vigilance. Le 27 janvier, la commission juridique du Parlement européen a validé un projet d’initiative des députés écologistes et de gauche (The Greens, S&D et Renew Europe). Celui-ci, s’il est adopté en mars par la majorité des députés européens, constituera la position du Parlement pour la future réglementation européenne.
Ce texte est une "petite révolution", selon l’eurodéputée Manon Aubry (GUE/NGL). Mais son adoption à la quasi-unanimité des voix (21 voix pour, 1 contre) par la commission juridique "a été obtenu de haute lutte, avec un travail préparatoire sans précédent", assure-t-elle. Car le texte est ambitieux. Il va même plus loin que la loi française sur le devoir de vigilance. Toutes les entreprises qui souhaiteront accéder au marché intérieur de l’UE, y compris celles installées en dehors de l’Union, devront prouver qu’elles assurent un contrôle sur l’ensemble de leur chaine d’approvisionnement et qu’elles mettent en place des procédures d’évitement des risques en matière d’environnement et des droits humains. Cela serait valable aussi bien pour les multinationales que les PME cotées en bourse ou opérant sur des secteurs à hauts risques comme l’extractif ou le textile.
Plus ambitieux que le devoir de vigilance français
Lié aux accords commerciaux et de libre échange, le texte permettrait l'interdiction des importations liées à des violations de droits humains comme le travail des enfants ou du travail forcé comme celui des Ouïghours en Chine. En cas de dommages avérés et de manquement au devoir de vigilance, les entreprises pourraient être tenues juridiquement responsables (civil et administratif) avec des sanctions financières ou administratives comme l’interdiction d’accès aux marchés publics. Et pour contrôler l’exécution effective du devoir de vigilance, le texte prévoit aussi la création d’une autorité administrative indépendante.
"Avec ces nouvelles règles, les entreprises auront la responsabilité juridique d’éviter et de limiter les risques dans l’ensemble de leur chaîne de valeur, les victimes bénéficieront d’un droit à la réparation et cela amènera de l’équité, des conditions de concurrence équitables et la clarté juridique pour toutes les entreprises, les travailleurs et les consommateurs", assure la rapporteure, Lara Wolters (S&D).
Un intense lobbying patronal
Mais il faudra pour cela passer encore quelques étapes. La prochaine se déroulera la semaine du 8 mars 2021, en séance plénière du Parlement européen. Il faudra alors convaincre les députés de centre-droit du PPE, le plus grand et le plus ancien groupe du Parlement européen, d’adopter cette version du texte. Ce qui est loin d’être acquis. "Beaucoup d’entre eux sont opposés à une telle législation. Nous attendons, au mieux de nombreux amendements qui pourraient amenuiser considérablement la portée du texte comme sur les seuils d’entreprises concernées ou la responsabilité juridique", souligne Manon Aubry.
En coulisses, les représentants des petites entreprises, certains syndicats et, surtout, le patronat, affutent leurs arguments pour défendre les intérêts des entreprises et d’une économie européenne qui seraient mis à mal par une telle loi, disent ses détracteurs. Les députés ont déjà reçu plusieurs courriers du Medef européen, Business Europe, en ce sens. Et la Commission, qui a lancé sa consultation publique avant la publication de son texte prévue à la fin du premier semestre, a annoncé avoir reçu un très grand nombre de contributions des entreprises.
Béatrice Héraud, @beatriceheraud