Publié le 22 juin 2017
ENTREPRISES RESPONSABLES
"L'entreprise est devenue un acteur géopolitique à part entière", selon Patrick d’Humières
Les entreprises prennent de plus en plus la parole dans l’espace public, pour soutenir la lutte contre le changement climatique par exemple. Dans son livre "La nature politique de l’entrepreneur" (1), Patrick d'Humières, consultant et expert de la RSE (responsabilité sociétale des entreprises) appelle les dirigeants économiques à prendre à bras le corps leur rôle politique, voire géopolitique.

Dans votre livre, vous affirmez que les dirigeants des entreprises doivent agir “en société” et assumer un rôle politique, voire géopolitique. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Il n'y a plus d'un côté l'entreprise, en charge de l'intérêt privé et, de l'autre, l'élu en charge de l'intérêt public. L'entreprise est devenue un acteur géopolitique à part entière. Ce rôle est né à Paris, en 2015, à l'occasion de la COP21. Elles s’y sont largement mobilisées en faveur de la lutte contre le changement climatique, aux côtés des États. Dans mon livre, je lance un appel à la communauté économique à prendre sa responsabilité dans la régulation de la mondialisation, pour construire, avec la société civile, de nouveaux modèles d'entreprises plus durables.
Toutes les entreprises ne pourront pas assumer cette charge…
C'est principalement le rôle des grandes entreprises internationales.Compte-tenu de leur poids - elles sont parfois plus puissantes que les États - et des défis de régulation de la mondialisation, les affaires du monde sont devenues les affaires de l'entreprise. La contrepartie de cette puissance, c'est la RSE (responsabilité sociétale des entreprises). Cela implique qu'elles se préoccupent et qu'elles gèrent les conséquences néfastes de leurs activités mais aussi qu'elles pensent différemment le développement et le but de leur entreprise, en intégrant la vision du "bien commun".
Nous n'avons pas le droit à l'échec sur ces questions car nous voyons bien qu'il y a des liens extrêmement forts entre la régulation économique et la situation démocratique des pays. Les entreprises doivent ouvrir des perspectives. Dans le cas contraire, elles prennent le risque de laisser le "national-économisme" de Trump faire le lit des avatars de nationalismes politiques.
La RSE serait un outil politique pour l'entreprise et l'entrepreneur?
La RSE est politique par nature et même géopolitique si l'on prend des sujets comme le climat ou les déchets. La transition énergétique n'est pas seulement l'affaire de la société et des gouvernements. Elle est fondamentalement l'affaire des entrepreneurs ! Nous ne pouvons et ne devons pas attendre que les acteurs politiques s'emparent du sujet.
Les entreprises doivent agir ! Certaines le font. On voit les initiatives sectorielles comme les accords de la marine marchande ou de l'aviation sur le climat. On le voit aussi avec la prise de position politique des grandes entreprises américaines et de certains investisseurs face aux décisions du président américain sur l'Accord de Paris. Seulement cette dimension de la RSE n'a pas encore été bien intégrée par tous. Il y a d'une part un manque de crédibilité de cette démarche auprès du grand public et, de l'autre, un certain malentendu sur ce qu'elle recouvre exactement. La RSE n'est pas ce cliché de la bienveillance sociétale qui a la vie dure mais une exigence extrêmement forte de mutation totale du modèle économique actuelle et du rôle de l'entreprise.
Le monde politique – Emmanuel Macron, son gouvernement et la nouvelle Assemblée – sont-ils prêts à laisser les entreprises prendre cette place dans la société ?
La RSE est un concept connu et présent dans la sphère d'Emmanuel Macron et chez certains députés de la République en Marche (LREM) qui vont siéger comme Olivia Grégoire (députée de Paris, NDLR) qui est une ancienne directrice développement durable. On sent qu'il y a beaucoup plus d'ouverture qu'à un moment.
Par exemple, je salue l'importance donnée dans le programme d’Emmanuel Macron au juste prix payé aux producteurs agricoles et la tenue prochaine les Etats généraux de l'alimentation. C'est une façon de dire aux acteurs de la distribution: nous vous faisons confiance pour vous arranger autour d'une table. Mais attention, si vous ne répartissez pas la valeur de façon équitable, une loi pourrait bien vous tomber dessus...
Propos recueillis par Béatrice Héraud @beatriceheraud
(1) "La nature politique de l'entrepreneur. Il n'est pas d'entreprise qui gagne dans un monde qui perd", par Patrick d'Humières, éditions Michel de Maule, juin 2017.