Publié le 11 octobre 2016

ENTREPRISES RESPONSABLES

La mesure de l’impact social commence à s’ancrer dans l’entreprise

Comme l’évaluation de la performance financière, la mise en place d'outils de mesure de la performance sociale peut s'avérer pertinente pour l’entreprise. De plus en plus de financeurs sont demandeurs de ce type d'indicateurs. Dernière en date, la Société générale qui vient de lancer sa seconde émission obligataire à impact positif. Les entreprises commencent à s’y mettre malgré l’apparente complexité de la tâche. Le cabinet Kimso les accompagne dans cette démarche depuis deux ans. Émeline Stievenart en est la directrice associée. Elle a également co-écrit un article pour la revue Recma sur le sujet. Entretien.

L’impact social concerne les effets d’une action sur ses principales parties prenantes. L’idée est de dépasser les réalisations en s’intéressant à ce que cela change, à ce que les actions apportent aux bénéficiaires, à leur entourage et à la société.
Yuri_Arcurs / iStock

Novethic : Quelle définition donnez-vous de l’impact social ?

Émeline Stievenart : L’impact social concerne les effets d’une action sur ses principales parties prenantes. L’idée est de dépasser les réalisations (nombre de jours de formation qu’on anime, nombre de personnes en situation de handicap accueillies...) en s’intéressant à ce que cela change, à ce que les actions apportent aux bénéficiaires, à leur entourage et plus largement à la société. Il s’agit de revenir au sens de l’action.

En France, on parle d’utilité sociale depuis très longtemps dans le secteur de l’économie sociale et solidaire, mais les termes d’impact social, utilisés à l’étranger, sont de plus en plus courants avec le développement de l’entrepreneuriat social et de l’impact investing.

 

Qu’apporte le fait d’évaluer cet impact social ?

C’est pour certains un moyen de lever ou de renouveler des financements en faisant la preuve de l’utilité de l’action conduite et de la rentabilité de cet investissement pour la société. Mais mesurer son impact social permet aussi à l’organisation de mieux connaître ce qu’elle fait, ses bénéficiaires, leurs besoins, les effets générés, et d’entrer dans une démarche d’amélioration et de concertation avec ses parties prenantes.

Évaluer son impact, c’est s’inscrire dans une démarche structurée de questionnement sur son action.

 

Passer du discours aux actes

 

En France, les entreprises s’emparent-elles de la question ?

Oui, mais je ne mesure pas l'ampleur du phénomène. Kimso a été créé il y a deux ans pour accompagner des entreprises sociales, des directions RSE et des financeurs dans l’évaluation et l’amélioration de l’impact social et je vois en effet qu’il y a une appétence. C’est un sujet de discussion, qui fait débat, et on commence à passer du discours à la mesure, même si on est loin d’une généralisation.

C’est une pratique qui demande du temps et un certain budget, donc certains se disent que ce n’est pas prioritaire. C’est aussi un sujet qui peut faire peur car il apparaît comme complexe. Mais bien souvent, les organisations qui se sont lancées ne le regrettent pas.

Ce que je répète souvent c’est qu’il ne s’agit pas tant de pointer tel ou tel résultat. C’est aussi la démarche qui est intéressante. Il n’existe pas une seule et même méthode, mais plusieurs, qui s’adaptent aux besoins, aux motivations et aux ressources de l’organisation. C’est pourquoi il est primordial de commencer par se demander pourquoi on veut mesurer son impact social, ce qu’on cherche à savoir, de combien de temps et de quel budget on dispose.

 

Justement, comment mesurer son impact social alors que cela paraît difficilement quantifiable ?  

Il existe une démarche qualitative : on va mener des entretiens avec les parties prenantes internes et externes (salariés, bénéficiaires, bénévoles, administrateurs…) pour savoir ce qu’elles pensent de la valeur ajoutée de l’action et des effets créés. Cette partie est souvent très riche, car elle permet de mettre en mots l’impact social.

On entre ensuite dans la mesure, avec la mise en place d’indicateurs de performance "sociale". Par exemple, pour une structure d’insertion par l’activité économique, au-delà du taux de retour à l’emploi, on va chercher à mesurer les effets sur l’estime de soi, le lien social, la problématique du logement… On ne peut pas mesurer à 100%, de manière absolue, cette réalité mais on peut l’estimer, l’approcher. On peut ainsi créer des échelles qui permettent de visualiser le chemin parcouru par une personne dans le temps.

Enfin, on peut être beaucoup plus créatifs que ce que l'on croit. De nombreux outils existent, il faut juste oser les utiliser et accepter leurs limites.

 

Les scientifiques à la rescousse

 

Est-ce qu’il y a des méthodes qui permettent de chiffrer plus précisément l’impact social ?

On peut faire appel à un évaluateur externe, voire à des laboratoires de recherche. On part ici de l’idée que si une personne a retrouvé un emploi par exemple, ce n’est pas forcément grâce à telle structure. Certains économistes estiment que la seule manière de s’assurer que ce changement n’aurait pas eu lieu sans l’intervention de la structure, c’est de faire appel à un groupe de comparaison de référence, comme en médecine, quand on compare les effets du vrai médicament avec ceux d’un placebo que l'on va donner à deux groupes distincts. C’est une méthode beaucoup plus lourde et plus coûteuse, qui se justifie pour une innovation avec un fort potentiel d’impact mais dont on ne sait pas si elle va fonctionner.

Enfin, la dernière approche est la monétarisation, c’est-à-dire la valeur monétaire attribuable à l’impact social. En clair, quel est le retour sur investissement pour un euro versé, notamment en termes de coûts évités. Par exemple, si quelqu’un a retrouvé un emploi, ce sont des indemnités chômage qui ne sont plus versées et des ressources fiscales supplémentaires. Ensuite, il y a des techniques d’estimation de cette valeur. On va essayer de mesurer la valeur de ce qui a changé pour les personnes, en la comparant avec quelque chose qui existe sur le marché. On peut par exemple essayer de donner une valeur monétaire à la confiance en soi. Certains dépensent de l’argent pour aller chez le coiffeur ou être coachés et ainsi se sentir mieux, ce qui nous donne une information sur la valeur qu’ils accordent à ce supplément de bien-être. Là aussi, on peut être créatifs.   

 

Quels sont les obstacles à la généralisation de la mesure de l’impact social ?

L’un des principaux obstacles est le manque de mutualisation des pratiques, des outils et des indicateurs de mesure, voire de normes. C’est notamment pour cela que Nov’ESS (1) sera doté d’une méthode de mesure qui vise à devenir une référence pour les investisseurs.

Il y a aussi un rôle pédagogique à poursuivre sur ce que recouvre l’impact social et comment son évaluation peut aider les décideurs. Les contrats à impact social, lancés en mars dernier par le gouvernement français, sont notamment l’occasion de mettre de multiples acteurs (entrepreneurs sociaux, financeurs privés, intermédiaires, consultants) autour de la table sur la mesure de l’impact social. Ce sont autant de terrains de sensibilisation.

 

(1) Le fonds NovESS, dédié à l'économie sociale et solidaire (ESS), a été lancé fin juin avec comme sponsor principal la Caisse des dépôts, dont Novethic est une filiale.

 

Liens utiles : 

Méthode SROI (Retour Social sur Investissement) : Programme de formation de l’ESSEC

Méthode par groupe de comparaisons : Esther Duflo et le Jameel Poverty Action Lab

Méthode IRIS (Impact Reporting and Investment Standards)

Méthode TRASI (Tools and Ressources for Assessing Social Impact )  

Concepcion Alvarez
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