Publié le 09 novembre 2018
ENTREPRISES RESPONSABLES
"L’entreprise n’est prospère que si elle est utile", selon Antoine Frérot, PDG de Veolia
Antoine Frérot est le PDG de Veolia. Face aux enjeux de la pollution, de la mondialisation, de la hausse des inégalités, il assure que les entreprises doivent jouer leur rôle sous peine de mettre en péril leur propre activité. Dans le même temps, il craint que la défiance du public vis-à-vis du capitalisme ne finisse par remettre en cause la liberté d’entreprendre.

@JoelSaget/AFP
Novethic : Le rapport du GIEC, publié il y a quelques semaines, montre l’urgence d’agir. Quel est le rôle de Veolia dans ce cadre ?
Antoine Frérot. Cela confirme ce que j’avais proposé en 2015 lors de la COP21. Pour progresser, il n’y a qu’une seule manière : le principe du pollueur-payeur et l’aide au dépollueur. Cela passe par une redevance large, appliquée à l’ensemble des émetteurs, avec un prix fixe par tonne de CO2 émise, plutôt que par un marché de quotas, trop complexe. Le fruit de cette redevance, à 40 euros la tonne environ, doit servir à subventionner ceux qui financent des outils de dépollution. Ceci rendra le fait de polluer plus cher que les efforts faits pour ne pas polluer ou dépolluer.
Difficile de l’appliquer au monde entier…
Ce serait pourtant l’idéal. Cependant, je pense qu’il est déjà possible de mettre en place dans plusieurs pays une taxe aux frontières pour les produits les plus émetteurs. Nous inciterions ainsi les industriels exportateurs à dépolluer. Cela demande également une redevance d’importation pour ne pas désavantager les industriels internes.
En ce sens, que pensez-vous du volet de la future Loi Pacte sur le rôle des entreprises dans la société ?
Aujourd’hui, l’économie de marché fait l’objet d’une défiance de la part d’une grande partie de la population. Celle-ci ne voit plus en quoi elle profite de la richesse créée. De nouveaux enjeux collectifs se posent à l’ensemble de nos sociétés : pollution, mondialisation, inégalités, réorganisation des modes de travail… Certains, de plus en plus nombreux, considèrent que les entreprises n’y répondent pas suffisamment. Ils en viennent parfois à remettre en cause la liberté d’entreprendre. L’avenir du capitalisme est en danger si l’on n’arrive pas à concilier la liberté d’entreprise et ces nouveaux enjeux collectifs. Il faut que les entreprises puissent proposer des solutions, sans quoi elles seront de plus en plus attaquées.
Vous faites d’ailleurs partie des rares patrons engagés pour la modification du code civil afin de redéfinir la place de l’entreprise dans la société…
Modifier la loi pour expliquer ce qu’est une entreprise et en quoi elle peut être utile à la société est un symbole fort. Les adversaires de cette modification expliquent que les entreprises le font déjà. Certes, mais si ce n’est pas perçu, c’est comme si cela n’existait pas ! C’est là que le politique joue un rôle. La loi n’est pas que punitive, elle est aussi un moyen d’affirmer une vision de la société.
L’accroissement des contentieux, craint par les opposants, peut, lui, être prévenu en inscrivant dans la loi que ce n’est pas au juge d’arbitrer entre les intérêts des différentes parties prenantes et la répartition des richesses mais au conseil d’administration. En contrepartie, ces derniers devraient être incités à définir la raison d’être des entreprises et à créer un conseil des parties prenantes, qui va participer à éclairer la stratégie de l’entreprise avec les enjeux de la société.
Vous insistez sur l’utilité de l’entreprise, Veolia pourrait-elle devenir une entreprise à mission ?
Il est beaucoup trop tôt pour l’envisager ! L’entreprise à mission est un modèle particulier. Faire pivoter une entreprise existante, qui plus est une grande entreprise, sur cette base est très compliqué.
En revanche, je suis favorable à ce que le conseil d’administration définisse la raison d’être de Veolia et rende ce travail public. Expliquer en quoi l’entreprise est utile à la société est un exercice sain. L’on peut alors établir la stratégie d’une entreprise à l’aune de cette raison d’être. Car une entreprise n’est prospère que si elle est utile à la société et non l’inverse.
Comment voyez-vous l’engouement des entreprises pour le label B Corp, accordé aux entreprises socialement responsables ?
Il faut faire la distinction entre le statut Benefit corporation qui, aux États-Unis équivaut à l'esprit des entreprises à mission, et le label B corp. Ce dernier est très intéressant même pour nous en France. Ses différents critères (près de 200, Ndr) pourraient par exemple servir de support à une grille d’analyse mondiale pour évaluer les entreprises sur ses aspects environnementaux, sociaux ou de gouvernance. Cela permettrait d’harmoniser les critères extra-financiers des agences de notation.
Faut-il changer la façon d’évaluer la performance des entreprises ?
La performance doit être multi-dimensionnelle. L’entreprise et ses dirigeants ne peuvent plus être évalués sur le seul accroissement du profit. Cette convergence entre performance financière et extra-financière faciliterait la transformation. Et c’est une demande qui va de plus en plus être portée par les actionnaires eux-mêmes car les investisseurs y ont tout autant intérêt que les entreprises. Nous sommes à un moment d’inflexion pour le capitalisme.
Propos recueillis par Ludovic Dupin et Béatrice Héraud