Publié le 11 juillet 2022

ÉCONOMIE

Vivre sans gagner d’argent : les frugaux s’organisent pour ne plus manquer de rien

Un peu déconsommateurs, farouchement indépendants et surtout déterminés à inventer leur propre mode de vie. Pas étonnant que les frugaux, qui concentrent plusieurs tendances sociétales actuelles, aient le vent en poupe. Leur lubie : s’affranchir de la nécessité d’avoir un salaire et retrouver la maîtrise de leur temps, en épargnant comme des forcenés pendant quelques années, pour prendre leur retraite avant 40 ans. Toute la semaine, Novethic explore les nouvelles façons d’aborder la sobriété, dans une série "vivre sans".

Frugalisme travail retraite Unsplash
Les adeptes du frugalisme veulent retrouver la maîtrise de leur temps en s'affranchissant du salariat.
@Unsplash

Il travaillait 90 heures par semaine dans une banque d’affaires, son premier job. Il gagnait confortablement sa vie. Puis un jour, Victor Lora a dit stop. Pas question de consacrer tout son temps à son travail ! "Il me fallait trouver une solution : comment vivre sans travailler et ne plus avoir besoin d’argent ?", explique-t-il. Il s’est tourné vers un mouvement bien connu aux États-Unis, mais émergent en France, le mouvement Fire, un acronyme pour "Financial indépendance, retire early" (indépendance financière, retraite précoce).

Pour se désengager des obligations salariales, les adeptes du Fire deviennent d’abord des économes forcenés. De 30 % pour les débutants, jusqu’à 80 % du salaire sont mis de côté tous les mois pour se constituer un capital suffisant pour s’arrêter de travailler le plus tôt possible. "J’ai pris ma retraite à 32 ans, mais j’avais atteint mon "break-even point" (point d’équilibre) dès 30 ans", déclare Victor Lora, 34 ans aujourd’hui, qui a lancé la communauté FireFrance pour échanger les bonnes pratiques et a écrit, en 2021, le livre "La retraite à 40 ans, c’est possible", aux éditions Larousse. "J’ai continué à économiser car je voulais avoir des enfants et pouvoir financer un foyer", explique-t-il.

Une motivation écologique

Les frugaux coupent sur toutes les dépenses inutiles, quitte à aménager leur vie sociale pour ne pas devoir suivre les amis en vacances coûteuses et petits restos à répétition. Pour une frange non négligeable d’entre eux, la motivation est écologique, avec la volonté de ne pas participer à la surconsommation de biens. Aux États-Unis, le sous-groupe du mouvement Fire le plus actif s’intitule "Socially Conscious Fire" (Fire socialement conscient). En France, l’un des sujets les plus importants de la communauté animée par Victor Lora s’intitule "résilience et écologie". "La frugalité, c’est forcément écologique : on n’a pas de voiture, on ne voyage pas et on réduit la taille de son appartement, voire on le partage en colocation", assure-t-il.

Ces frugaux ne sont cependant ni pingres, ni paresseux. S'ils ne veulent pas passer leur temps à travailler, ils doivent néanmoins faire tourner leur capital amassé afin d'en vivre jusqu'au bout de leur vie. Leurs économies ne sont pas placées sur un Plan d’épargne retraite plan-plan. Plusieurs tendances se dégagent, de l’investissement immobilier qui ramène de confortables loyers, au boursicotage, en passant par la création de "side-business" (activité de côté) qui doivent rapporter un maximum pour un minimum de temps investi. Pour les plus jeunes, l’achat très risqué de cryptoactifs est particulièrement à la mode.

Reflet de l’époque

Difficile de quantifier le nombre de frugaux en France, mais Victor Lora voit néanmoins sa communauté progresser. Chaque réunion mensuelle compte environ 150 personnes, qui se retrouvent via la plateforme Meetup. La moyenne d’âge de ces futurs jeunes retraités tourne autour de 32 ans, avec des revenus confortables permettant d’économiser vite et bien. C’est l’une des limites du Fire : impossible d’en faire partie pour ceux dont les fins de mois sont difficiles et l’épargne impossible.

L’anthropologue Fanny Parise, qui a étudié le mouvement du frugalisme, y voit quant à elle un reflet de l’époque. Dans un article publié dans The Conversation, elle observait une "réponse individuelle aux injonctions paradoxales de la société postmoderne : réussir sa vie (pas seulement professionnelle mais dans tous les domaines) en s’inscrivant dans une démarche de développement personnel guidée par une quête de sens nécessaire à l’atteinte du bonheur".

Arnaud Dumas, @ADumas5


© 2023 Novethic - Tous droits réservés

‹‹ Retour à la liste des articles

Pour aller plus loin

Vivre sans énergies fossiles : Cette famille y est (presque) arrivée

Avec la hausse des prix de l’énergie, la crise climatique et les canicules à répétition, les Français sont de plus en plus nombreux à se demander comment se passer des énergies fossiles. Certains ont franchi le pas, en investissant dans des maisons durables, qui produisent leur propre...

Vivre sans travailler, une nouvelle tendance sur fond de décroissance

Travailler moins, consommer moins, polluer moins. C'est un peu le dogme des adeptes du détravail dont certains prônent de ne plus travailler pour viser la décroissance. Dans un contexte de grande démission et de remise en cause de la centralité du travail, ce mouvement est devenu un...

Vivre sans supermarché : le rempart à la surconsommation et la crise agricole

Pizzas et chocolats contaminés, œufs au fipronil, vache folle… chaque scandale alimentaire incite les consommateurs à se détourner des supermarchés pour emprunter le chemin des circuits courts. Cette alternative au modèle agro-industriel est aussi un rempart à la détresse du monde paysan,...

Vivre sans technologie : quand les low-techs innovent, loin du retour à la bougie

Les low-techs s'affichent comme un idéal de sobriété : moins de technologies, de ressources, de déchets... Ce mouvement popularisé par des passionnés en quête d'autonomie infuse aujourd'hui dans les réflexions sur l'innovation et l'ingénierie. Les pionniers de la low-tech nous réapprennent...

POLITIQUE

Politique

Les acteurs politiques sont les seuls à même d'activer les grands leviers qui permettront, à grande échelle, la transformation responsable de l'économie et de la finance. Des conditions sine qua nonpour s'orienter vers un modèle soutenable.

Jacinda ardern MICHAEL BRADLEY AFP

Jacinda Ardern, Première ministre néo-zélandaise emblème d'une politique alternative, démissionne

Le parcours de Jacinda Ardern, la Première Ministre néo-zélandaise, aura cassé tous les codes politiques depuis le début. Élue par surprise en 2017 à 37 ans, elle aura dirigé le pays pendant six ans en assumant maternité, empathie avec la population, attitude exemplaire lors des attentats de...

Assaut contre les batiments du Congres de la Cour supreme et du palais presidentiel Brasilia janvier 2023 EVARISTO SA AFP

La prise éphémère des symboles démocratiques de Brasilia incarne les nouvelles batailles de l’extrême droite

Pendant quatre heures dimanche, les partisans de Jair Bolsanaro ont rejoué la prise du Capitole sous d’autres latitudes. Couverts de drapeaux brésiliens, ils ont pris d’assaut la place des Trois pouvoirs construite par Oscar Niemeyer, vandalisant au passage le Congrès, la Cour Suprême et le palais...

Montage photos tondelier ciotti bompard marseille dec 2022 AFP

Les changements à la tête de quatre partis politiques feront-ils plus de place à l'écologie dans le débat public ?

Quatre nouveaux dirigeants de partis politiques ont été désignés ce week-end. Élus par des militants, comme Marine Tondelier pour EELV et Eric Ciotti pour les Républicains ou désignés par les instances de leurs partis comme Manuel Bompard qui remplace Jean-Luc Mélenchon à la tête de la France...

Eva Kaili Parlement europeen CCO

Qatar 2022 : la compétition sportive n’a pas dissipé le parfum de corruption qui flotte jusqu’au Parlement européen

Les appels au boycott se sont taris face aux matches de football mais la corruption dénoncée depuis l’attribution de la Coupe du Monde poursuit ses ravages. Elle est à l’origine de l’interpellation de la vice-présidente grecque du Parlement européen vendredi. Eva Kaili, du parti S&D, s’était...