Publié le 09 février 2023

ÉCONOMIE

Profits records des pétroliers : leurs actionnaires face aux contradictions entre climat et performances financières

Les majors pétrolières ont fait une très, très bonne année 2022. Elles tirent des bénéfices record de la crise de l’énergie. TotalEnergies, Shell et BP ont réalisé, à elles trois, plus de 87 milliards de dollars de profits, tout comme Exxon (55,7 milliards de dollars pour 2022). Si l’univers boursier salue ces performances, elles sont préoccupantes pour le climat rappellent avec force les ONG. D'autant que BP a d’ores et déjà annoncé revoir ses objectifs de neutralité carbone à la baisse et que les nouveaux projets fossiles comme celui d’EACOP porté par TotalEnergies, trouvent de nouveaux moyens de financement.

Action contre total energies siege repeint en rouge alternatiba paris
Pour l'annonce des résultats de TotalEnergies, mercredi 8 février, des militants d'Alternatiba Paris et des Amis de la Terre ont repeint le siège du groupe en rouge.
@Alternatiba Paris

La crise de l’énergie profite de façon spectaculaire aux majors pétrolières malgré les dépréciations d’actifs russes. TotalEnergies a annoncé plus de 20 milliards de dollars de bénéfices pour 2022, record historique, tandis que ceux de BP dépassent les 27 milliards de dollars. Quant à Shell, il dégage près de 40 milliards de dollars de profits, ce qu’il n’a pas fait depuis 115 ans. Ces profits volumineux relancent les débats sur la stratégie climat de ces entreprises. Elles devraient abandonner progressivement leurs activités pétrole et gaz pour tenir leurs engagements de neutralité carbone. Or, elles semblent prendre le chemin inverse.

BP a d’ores et déjà envoyé un signal inquiétant en annonçant revoir ses objectifs climat à la baisse, réduisant quasiment de moitié son ambition de réduction d’émissions de gaz à effet de serre pour 2030. La compagnie s’engage à les diminuer de 20 à 30 % contre 35 à 40 % précédemment, et justifie la relance de ses investissements dans les énergies fossiles par l’augmentation de la demande. Cet argument récurrent de l’industrie pétrolière, utilisé par les majors cotées comme par les compagnies nationales à l’image de Saudi Aramco, montre que leur business model n’a pas vraiment évolué même si la part d’énergies renouvelables augmente dans leur mix énergétique.

"70% des investissements de TotalEnergies destinés aux hydrocarbures"

Celui-ci repose en réalité toujours en grande partie sur le développement de nouvelles capacités d’énergies fossiles pourtant incompatibles avec l’Accord de Paris. C’est ce que rappellent 11 scientifiques membres du GIEC dont la Française Valérie Masson-Delmotte, à TotalEnergies. Ils sont scandalisés que la compagnie utilise leurs travaux pour justifier des projets comme EACOP en Ouganda

Dans une tribune sur France Info, ils stigmatisent ainsi les investissements que prévoit la compagnie sur la période 2022-2025 : "jusqu'à 16 milliards de dollars par an, dont 70% sont destinés aux hydrocarbures avec un objectif d’intensification de la production de plastiques jusqu'en 2050". Cette fuite en avant est dénoncée avec tout autant de virulence dans une tribune publiée dans Le Monde par cinq lauréates du prix Goldman pour l’environnement à la tête d’ONG : Lucie Pinson, Claire Nouvian, Heffa Schücking, Makoma Lekalakala et Liz McDaid. Elles ciblent plus spécifiquement les investisseurs qui continuent à soutenir TotalEnergies rappelant que "les acteurs financiers finiront par être rattrapés par les impacts du dérèglement climatique".   

Certains investisseurs sont tout aussi inquiets de voir les banques poursuivre leurs investissements dans des nouveaux projets d’énergies fossiles. Une coalition de fonds de pension et de société de gestion pesant 1500 milliards de dollars emmenée par l’ONG britannique Share Action ont écrit à cinq grandes banques internationales dont BNP Paribas et le groupe crédit Agricole pour leur demander de stopper dès 2023 tout financement de ce type de projets. C’est un avertissement pour leur rappeler leurs propres engagements de neutralité carbone.

Mais le gaz comme le pétrole étant redevenus très profitables, nombreux sont les investisseurs qui soutiennent par ailleurs la position de Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies qui continue à affirmer que "ces bénéfices qui viennent du pétrole et du gaz nous permettent d’accélérer les investissements dans les énergies décarbonées pour réussir la transition énergétique". Ils sont aussi attirés par un cocktail de dividendes et de rachats d’actions très attractif. TotalEnergies va reverser 17 milliards de dollars à ses actionnaires, dix en dividendes et sept en rachats d’action.

"La tragédie des horizons"

Ce qui scandalise Greenpeace sur le plan environnemental et social. "Tandis que de nombreux foyers et commerces voient leurs factures d’énergies augmenter dramatiquement, TotalEnergies ne s’est jamais aussi bien portée, alors qu'elle contribue directement au dérèglement climatique", estime Edina Ifticène, chargée de campagne Pétrole pour Greenpeace France. Cela rappelle la "tragédie des horizons" si bien décrite en 2015 par Mark Carney pour expliquer le décalage entre des marchés financiers qui réagissent à des stimuli à la nano seconde et considèrent que le prochain trimestre est un futur lointain, et le changement climatique, perspective lointaine de risques systémiques.

Il y a un peu plus de deux ans, la bataille semblait pourtant gagnée ou presque. En 2020, le Covid-19 et la grande paralysie mondiale avait fait perdre 41% de sa valeur à Total, le même montant à Chevron et, grande première, NextEra Energy, pépite des énergies renouvelables, passait devant ExxonMobil en termes de capitalisation. On assistait à l’époque à une inversion des courbes entre entreprises pétrolières et renouvelables.  

Deux ans plus tard, NextEra Energy a presque atteint les 150 milliards de dollars de capitalisation pour financer son "vrai plan pour la neutralité carbone", TotalEnergies a regagné 60 milliards de dollars supplémentaires et Exxon est redevenu un géant avec ses 472 milliards de dollars de capitalisation. La possibilité de faire financer la transition énergétique par des marchés financiers cotés s’éloigne alors que l’urgence climatique se fait pressante.

Anne-Catherine Husson-Traore, @AC_HT_, directrice générale de Novethic


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