Publié le 16 janvier 2022
ÉCONOMIE
Pourquoi le revenu universel est sans cesse repoussé (et probablement enterré)
Le projet d'un revenu universel, versé à tous, sans conditions, n’est plus défendu par aucun candidat, alors qu'il s'agissait du thème phare de la précédente élection présidentielle. La candidate socialiste Anne Hidalgo a bien proposé le versement de 5 000 euros de capital à tous les majeurs, mais on est très loin du principe défendu en 2017 par Benoît Hamon. Si l’idée séduit de nombreux Français, aussi bien les tenants du libéralisme que du socialisme, sa mise en place semble aujourd'hui impossible. Des experts expliquent les raisons de ce renoncement.

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Les Français et le revenu universel jouent depuis plusieurs années la grande scène du "je t’aime, moi non plus" ! Lors de la dernière campagne présidentielle, le candidat Benoît Hamon avait imposé ce thème, au point de le rendre incontournable pour les candidats. Mais depuis sa cinglante défaite à l’élection, le sujet peine à mobiliser. Si la pandémie a, pendant un temps, remis l’idée au centre des débats, elle a de nouveau été abandonnée. La campagne présidentielle actuelle, qui peine à faire surgir des idées novatrices, ne semble pas non plus en mesure de raviver cette proposition. Si Anne Hidalgo, la candidate socialiste, propose de verser 5 000 euros de capital à tous les majeurs, cette idée est très éloignée du revenu universel.
Or pour porter ce projet il faut une volonté politique débridée et un soutien populaire hors norme. Mais aujourd’hui "l’idée n’est plus défendue par les citoyens et même les associations engagées comme le Mouvement français pour un revenu de base (MFRB) sont moins actives", reconnaît Jean-Éric Hyafil, un des fondateurs du mouvement qu'il a lui-même quitté. Une réforme fiscale ambitieuse est indispensable à la mise en place de ce dispositif. "Il faut repenser complètement le système actuel pour organiser le versement d'un revenu à tous les citoyens, sans contrepartie ni conditions restrictives", précise-t-il.
L'obstacle majeur reste le coût
L'auteur d’une thèse sur le sujet soulève un autre problème de taille : "le coût financier d’une telle réforme est important". Pour ce faire, "il faudrait augmenter les impôts sur le revenu ou sur les sociétés", indique l’enseignant-chercheur. Sinon, "il faut procéder par étape", suggère Jean-Éric Hyafil, en commençant par automatiser le versement des prestations déjà existantes comme le RSA ou la prime d’activité (de nombreux bénéficiaires potentiels ne les touchent pas).
Toutefois, les propositions actuelles des candidats vont plutôt dans le sens inverse. De plus, les citoyens s’investissent dans d’autres combats. "Le revenu universel est remis en cause par la crise climatique. La société civile et les politiques se mobilisent davantage pour transformer notre économie et répondre à l’urgence écologique", indique Eric Hyafil. Pour l’enseignant-chercheur, "ce sujet n’est plus prioritaire".
"Une infantilisation du citoyen"
Un point de vue que ne partage pas Timothée Duverger, Professeur à Sciences-po Bordeaux: "Beaucoup d’expériences ont été récemment menées", soutient l'auteur de "L'invention du revenu de base - La fabrique d'une utopie démocratique". "Ces initiatives confirment que le revenu de base ne décourage pas la recherche d’emploi", contrairement à ce que craignaient les détracteurs du revenu de base. Les tests menés constatent aussi que ce dispositif améliore le bien-être des citoyens, relève leur degré de confiance dans les institutions, tout comme le sentiment d'appartenance à une communauté. "Autant de sentiments dont nous aurions particulièrement besoin en ce moment", estime Timothée Duverger.
Mais en France, les élus ont rejeté les propositions d’expérimentation, comme celle voulue par le département de la Gironde. "Les politiques ne sont pas prêts à verser des aides sans conditions, sans les assortir de sanctions", déplore Timothée Duverger. "Il y a une infantilisation du citoyen", regrette-t-il encore. Le chercheur en veut pour preuve le choix du gouvernement de proposer un "contrat d’engagement". Cette aide de 500 euros est réservée aux moins de 25 ans sans formation ni emploi depuis plusieurs mois et concerne moins de 400 000 bénéficiaires potentiels. "L’État avait la possibilité de mettre en place une réforme ambitieuse, il a finalement opté pour une réforme lilliputienne", se désole Timothée Duverger.
Mathilde Golla @Mathgolla