Publié le 28 janvier 2021

ÉCONOMIE

Le projet "Hercule", qui vise à scinder EDF, symbolise l’imbroglio énergétique de la France

2021 est une année clé pour EDF. L’électricien historique est sous pression entre ses besoins d’investissements colossaux et un surendettement difficile à résorber avec les régulations actuelles. Pour le gouvernement, la solution s’appelle Hercule : scinder EDF en trois, en isolant le nucléaire du reste de l'entreprise. Impensable pour les syndicats qui y verraient la fin du service public. Quant à Bruxelles, elle veut des garanties en matière de libre concurrence.

Logo EDF nucleaire AlainJocard AFP
Le projet Hercule vise à scinder EDF en trois entités : nucléaire, renouvelables et hydroélectrique.
@AlainJocard/AFP

Pour certains, c’est la fin du service public de l’énergie et le saut dans l’inconnu de la libre concurrence. Pour les autres, c’est le seul moyen de sauver EDF du surendettement, d’investir dans le parc nucléaire, de préserver les barrages hydroélectriques et d’accélérer la transition énergétique. Il s’agit du projet Hercule, lancé par le PDG Jean-Bernard Lévy à la demande du Président de la République en 2019. Il vise à découper EDF en trois morceaux.

D’abord EDF Bleu, 100 % public, réunirait les activités nucléaires et le réseau de transport d’électricité (RTE). Ensuite, EDF Vert, ouverte à la concurrence, compterait renouvelables et distribution. Enfin, EDF Azur gérerait les barrages hydroélectriques. La direction d’EDF, le gouvernement et les investisseurs soutiennent ce projet. Mais le Parlement, qui n’a jamais été consulté, et les syndicats, qui ont multiplié les grèves depuis deux mois, s’y opposent. L’arbitre sera la Commission européenne.

La mère de tous les maux : l’Arenh

L’histoire est loin d’être simple. EDF fait face à un surendettement chronique qui altère sa capacité à investir (environ 15 milliards d’euros par an). "Aujourd’hui, EDF va dans le mur si nous ne sommes pas capables de lui donner les moyens d’investir", explique Bruno Le Maire. Un dirigeant de l’entreprise, contacté par Novethic, ne peut que confirmer : "EDF est dans une situation structurellement défavorable, alors que nous avons des centaines de milliards d’investissements à réaliser (nucléaire, réseaux, renouvelables…)".

Cette "situation structurellement défavorable" a un nom : Arenh (Accès régulé à l'électricité nucléaire historique), lancé en 2011. Alors que la France refusait d’ouvrir ses réacteurs à la concurrence, Bruxelles a imposé que les concurrents d’EDF aient accès à l’électricité nucléaire à prix coutant, calculé à 42 €/MWh. Si les prix de marché sont inférieurs, EDF ne vend pas assez. Si les prix de marché sont supérieurs, EDF perd de l’argent. Une situation perdant-perdant. La France veut absolument renégocier l’Arenh qui prendra fin en 2025. "Non" dit Bruxelles, pas sans contreparties sur la concurrence.

Un proche du dossier, agacé, confie : "Quand EDF essaie de construire un champion, Bruxelles ne prend le sujet que par le prisme de la concurrence !". D’où l’idée de proposer aux commissaires européens Hercule. Selon Barbara Pompilli, cette scission permettrait de répondre "aux évolutions des marchés de l'énergie". Comprendre : mettre tout le renouvelable dans la concurrence comme le demande l’Europe et sanctuariser l’atome qui n’est pas fait pour être coté en Bourse. Ce n’est pas pour rien qu’EDF a été sorti du CAC40 en 2015 !

Bruxelles fait payer la France

Les syndicats ont lancé une grande campagne nationale, mercredi 27 janvier, pour alerter les Français sur le "démantèlement" de l’entreprise : "[Hercule] ne répond pas (…) à la sous-rémunération chronique dont souffre l'entreprise depuis la mise en place de l'Arenh. "L'activité commerciale d'EDF se retrouverait finalement dans la jungle du dumping social et commercial et EDF deviendrait une entreprise comme les autres ", renchérit Philippe Page Le Mérour (CGT), secrétaire du comité social et économique central (CSEC) d'EDF.

De son côté, Bruxelles prend son temps pour répondre à la France. Lundi 25 janvier, l’annonce d’un enlisement des négociations a fait paniquer les investisseurs et le cours d’EDF a plongé de 18 %. Bruxelles "veut faire payer à la France ses réticences à ouvrir l’énergie à la concurrence", assure un responsable d’EDF. Mais Paris ne cède pas. "La France s’accroche au nucléaire car c’est une des dernières filières industrielles d’excellence du pays. Cela a un vrai rôle géopolitique, c’est le récit de la puissance française", explique Nicolas Goldberg, spécialiste énergie chez Colombus Consulting.  Il faut maintenant savoir si Hercule sera accepté avant la fin du quinquennat Macron. Essentiel pour avancer sur le nouveau nucléaire et sur la transition tricolore. Mais cette échéance apparaît de plus en plus intenable.

Ludovic Dupin @LudovicDupin


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