Publié le 20 mars 2023

ÉCONOMIE

Le Crédit suisse fait trembler les marchés et craindre une crise financière qu’anticipe le PDG de BlackRock

Panique dans le secteur bancaire suisse qui emploie 40 000 personnes. Pour empêcher le Crédit Suisse de sombrer, son rachat pour 3 milliards d'euros par l’autre grande banque suisse, UBS, a été bouclé en un week-end et validé par les autorités fédérales qui voulaient "rétablir la confiance". Cela suffira-t-il à arrêter ce qui ressemble de plus en plus aux prémices d’une crise financière ? Déjà fragilisée en 2008, la grande banque suisse témoigne des errances d’un secteur où le risque est moins maitrisé qu’on ne le croit, à commencer par celui du changement climatique. Ce que confirme Larry Fink, le PDG de BlackRock, dans sa lettre annuelle.

Credit Suisse CCO
Le Crédit Suisse va être racheté par UBS pour lui éviter la faillite.
@CCO

Le numéro un de la banque suisse, UBS, a accepté de racheter le numéro deux, Crédit Suisse, pour éviter une faillite qui aurait pu déclencher une panique boursière mondiale ce lundi. Une opération à 3 milliards de francs suisses (environ 3 milliards d'euros), soit moins de la moitié de la valorisation du Crédit Suisse. Les autorités suisses l’ont confirmé dimanche en début de soirée expliquant que cette solution chargée de rétablir la confiance des marchés "était décisive pour la Suisse mais aussi pour la stabilité de l’ensemble du système financier". Crédit Suisse est ce qu’on appelle une banque systémique c’est-à-dire qu’elle figure sur la liste des "Too Big To Fail", ces banques globales qui ont des actifs disséminés dans toute l’économie mondiale et dont la chute peut entraîner des catastrophes en chaîne. À l’image de ce qui s’est passé, en 2008, avec la banque américaine Lehman Brothers. 

En 2023, les secousses sismiques qui menacent la planète finance viennent donc de Suisse, mais aussi des États-Unis où la faillite de plusieurs banques dont l’emblématique Silicon Valley Bank, inquiète beaucoup. Larry Fink, le patron de BlackRock, dans sa lettre annuelle adressée pour la première fois en même temps aux entreprises dont sa firme est actionnaire et aux investisseurs, a exprimé des inquiétudes. Loin des déclarations habituelles sur le capitalisme responsable et la prise en compte du climat par la gestion d’actifs, il s’est concentré sur les problèmes de liquidité des banques très exposées à l’endettement massif de leurs actifs. Comprendre les risques très élevés de faillite des institutions financières qui vont devoir faire face à la panique de leurs clients venus retirer simultanément et en masse leurs avoirs, alors que la banque ne sera pas en capacité de les leurs rendre parce qu’elle a trop prêté à des entreprises beaucoup trop endettées pour supporter une remontée des taux rapides. Cela concernerait jusqu’à 186 banques américaines.   

Le risque climatique est-il pris au sérieux ?

Les marchés boursiers affichaient depuis plusieurs mois un calme illusoire, ajoute Larry Fink bien loin des crises de l’économie réelle. Cette décorrélation pourrait conduire à un retour aux heures sombres de 2007 et 2008. Le durcissement de la règlementation devait pourtant éviter de nouvelles dérives. À partir de 2015, année de l’Accord de Paris, les engagements climat pris par les acteurs financiers laissaient même croire à une meilleure prise en compte du long terme et des risques de dépréciation massive liées au changement climatique.

Cette année le patron de BlackRock évoque aussi la transition énergétique dans sa lettre. Mais, pour lui, "si le risque climatique est bien toujours un risque financier, ce ne sont pas les investisseurs qui doivent faire la police environnementale, ce sont les États qui doivent prendre les réglementations adaptées". Or, si les États ne prennent pas la bonne décision et que la crise financière se propage, l’économie risque de manquer drastiquement de capitaux pour financer sa transformation pas vraiment entamée.

Les frasques du Crédit Suisse témoignent de la grande difficulté à réorienter les flux financiers. Régulièrement attaquée pour les rémunérations excessives de ses dirigeants, la banque avait fait face, au printemps dernier, à la première résolution climatique du pays portée par des actionnaires emmenés par la Fondation Ethos, spécialiste suisse de l’engagement actionnarial. Approuvée par près de 20 % d’entre eux, elle constatait que contrairement aux principales banques européennes, le Crédit suisse n’avait aucune restriction de financement pour les entreprises exposées au pétrole et gaz de l’Arctique, aux sables bitumineux et à la fracturation hydraulique pour le gaz de schiste.

Les investissements du Crédit Suisse dans les énergies fossiles sont estimés, sur la période 2016-2020, à 82 milliards de dollars. Le rachat par UBS pourrait encourager une meilleure orientation climatique puisqu’elle, au moins, a proposé un plan climat à ses actionnaires en 2022. Peut mieux faire, lui ont-ils répondu. Fragilisées les deux grandes banques suisses qui n’en font donc plus qu’une vont devoir relever le défi. En 2023, comme toutes les entreprises cotées du pays, elles vont devoir établir un "rapport de durabilité" où la stratégie climatique doit occuper une place centrale. Celui-ci sera soumis au vote des actionnaires dès 2024.

Anne-Catherine Husson-Traore, @AC_HT_, directrice générale de Novethic


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